Alexandrin
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Un alexandrin est un vers français composé de deux hémistiches (ou sous-vers) de six syllabes chacun, soit douze au total. La sixième syllabe, c'est-à-dire la dernière du premier hémistiche, correspond à la césure qui, en métrique classique, est le lieu de contraintes spécifiques.
Selon Lancelot (1663), « il n'est pas necessaire que le sens finisse à la Cesure [...] mais il faut [...] qu'on s'y puisse reposer », ce qui implique par exemple que des « particules » comme qui, je ne peuvent y apparaître. De même, le substantif et l'adjectif ne peuvent figurer de part et d'autre de la césure. D'autre part, si le sens continue après la césure, « il faut qu'il aille au moins jusques à la fin du vers ». Enfin, l'e muet (ou féminin) en est banni. Il peut par contre apparaître à la syllabe suivante, pour autant qu'il soit élidé. Par exemple, si :
« Oui, je viens dans son temple adorer l'Eternel »
est un alexandrin classique bien formé, on ne peut pas en dire autant de
« Oui, je viens dans son temple prier l'Eternel » (e féminin non élidé à la septième syllabe)
ou de
« Je viens dans son temple pour prier l'Eternel » (e féminin à la sixième syllabe).
Les métriciens du XIXe siècle ont cru pouvoir identifier deux formes d'alexandrin : le tétramètre, ou alexandrin classique, et le trimètre, forme particulière apparue à l'époque romantique. Si de tels découpages rythmiques ne sont pas dénués de toute pertinence, on tend aujourd'hui à considérer qu'ils ne relèvent pas à proprement parler de la métrique et que, par conséquent, ils ne sauraient participer de la définition de l'alexandrin.
Le nom de ce vers vient de Li romans d'Alexandre, cycle de poèmes du XIIe siècle écrit en vers de douze syllabes célèbre pour avoir associé ce mètre au style épique. Les premiers alexandrins lui sont cependant antérieurs : on peut les dater de la fin du XIe siècle.
C'est pour les francophones le « grand vers » de la poésie.
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[modifier] Tétramètre
On qualifie parfois de tétramètre l'alexandrin ordinaire, parce qu'on y identifie quatre mesures (c'est-à-dire éléments rythmiques terminés par un accent et suivis d'une coupe). Le deuxième et le quatrième accent coïncident avec la fin de chaque hémistiche (syllabes 6 et 12). Les autres accents sont variables à l'intérieur de l'hémistiche. Quand ceux-ci sont placés à la troisième et à la neuvième syllabe (3/3//3/3), on peut parler de tétramètre à débit régulier. Par exemple :
« Je le vis/, je rougis,// je pâlis/ à sa vue/ »
(Racine, Phèdre, I, 3, v.435)
On peut aussi avoir des hémistiches 1/5, 2/4, 4/2 ou 5/1 et, pourquoi pas, 0/6 et 2/2/2, ce qui fait mentir l'appellation de tétramètre. En tous les cas, ces découpages rythmiques sont fort subjectifs.
« Mon cœur,/ comme un oiseau,// voltigeait/ tout joyeux »
(Baudelaire, Les Fleurs du mal, « Un voyage à Cythère »)
Il faut noter que, par définition, les mesures rythmiques finissent avec la syllabe accentuée. Quand un mot est constitué d'une syllabe accentuée et d'une syllabe inaccentuée, cette dernière est rejetée dans la mesure suivante. La coupe peut donc avoir lieu au milieu d'un mot.
[modifier] Trimètre
Il est dit « romantique », car c'est avec les romantiques, et Victor Hugo en particulier, qu'il se répand. Ce type d'alexandrin a pour particularité de se laisser découper, rythmiquement parlant, en trois mesures. La sixième syllabe de ces vers conserve malgré tout l'essentiel des caractéristiques métriques de la césure. Ces vers sont donc intéressants par la tension qu'ils introduisent entre la structure métrique « classique » 6//6 qui reste prégnante et le découpage rythmique (par exemple 4/4/4) qui s'impose au lecteur.
Hugo écrit ainsi dans « Quelques mots à un autre » (Les Contemplations) : « L'alexandrin saisit la césure, et la mord », et plus loin dans le même poème : « J'ai disloqué ce grand niais d'alexandrin. »
Le trimètre se décompose donc le plus souvent en trois mesures rythmiques égales, 4/4/4.
« Et l'étami/ne lance au loin/ le pollen d'or »
Heredia, Les trophées, « Fleur séculaire »
Il faut noter que le trimètre est loin d'avoir remplacé complètement l'alexandrin normal dans la poésie romantique. Il est généralement introduit au milieu de vers ordinaires pour créer un effet de contraste.
Dans Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand offre un exemple rare de trimètre ne pouvant pas être coupé après la sixième syllabe :
- « Empanaché/ d'indépendan/ce et de franchise »
Plus tard, Verlaine et Rimbaud feront subir à la césure les derniers outrages.
[modifier] Tétramètre à césure faible
Il arrive de trouver des vers ayant certaines caractéristiques du trimètre dans les œuvres de tragédiens classiques comme Corneille ou Racine — là où, en théorie, ils ne devraient pas se trouver.
« Je veux/, sans que la mort// o/se me secourir,
« Toujours aimer,/ toujours souffrir,/ toujours mourir »
(Corneille, Suréna, I, 3)
Le premier vers cité peut facilement être coupé comme un tétramètre de rythme 2/4//1/5 ; le second vers ressemble à un trimètre romantique, mais c'est plus à cause de la répétition de trois phrases presque semblables que pour des raisons spécifiquement métriques.
Pour expliquer cette apparente incohérence, certains critiques, comme Maurice Grammont, parlent de « faux trimètres », qui seraient en fait des tétramètres à césure faible. Ainsi, dans Esther, le prétendu trimètre
« Et Mardochée/ est-il aussi/ de ce festin ?»
devrait en réalité se lire :
« Et Mardochée/ est-il// aussi/ de ce festin ?»
Toujours selon Grammont, il y aurait plutôt une césure faible, ayant pour but en l'espèce de faire ressortir le mot « aussi ».
En tout état de cause, la seule chose qui, métriquement, importe est que ces vers sont bel et bien des alexandrins césurés 6//6 : aucune règle classique ne permettrait de considérer comme fausse la césure qui sépare « toujours » de « souffrir ». Cela acquis, la question de savoir si le vers de Surréna est ou non un trimètre avant la lettre n'est plus guère pertinente.
[modifier] Bibliographie
- Benoît de Cornulier, Art poëtique, Presses Universitaires de Lyon, 1995
- Frédéric Deloffre, Le vers français, SEDES, 1969
- Jean-Michel Gouvard, La versification, PUF, 1999.
- Maurice Grammont, Petit traité de versification française, Armand Colin, 1965
- Claude Lancelot, Quatre traitez de poësies, Pierre le Petit, 1663
- Jean Mazaleyrat, Éléments de métrique française, Armand Colin, 1963
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