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Leo Strauss - Wikipédia

Leo Strauss

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Leo Strauss, (20 septembre 1899 à Kirchhain en Allemagne - 18 octobre 1973 à Annapolis, Maryland) est un philosophe allemand, émigré aux États-Unis, où il a fait une carrière universitaire.


Sommaire

[modifier] Biographie

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Leo Strauss est le fils de Hugo Strauss et de Jenny David. Élevé dans une famille de commerçants en grains de Kirchain, dans la Hesse (région de Francfort), dont Leo Strauss dit lui-même qu'elle pratiquait un judaïsme pieux, mais sans grande culture, il entre au Gymnasium (le lycée allemand) où il prend contact avec les lettres européennes classiques. C'est semble-t-il à la fin de ses études au lycée qu'il découvre l'œuvre de Friedrich Nietzsche. Il avoue qu'à cette époque il « croyait littéralement tout ce qu'il lisait de Nietzsche ».

Il part ensuite étudier à Marbourg, ville universitaire située à une vingtaine de kilomètres de Kirchhain, puis se rend à Hambourg, où il suit l'enseignement de Ernst Cassirer, sous la direction duquel il soutient une thèse sur la Théorie de la Connaissance dans la pensée de Jacobi, sujet qui correspond à la vague de néo-kantisme en vogue à l'époque à Marbourg. Il part enfin à Fribourg pour suivre l'enseignement de Husserl et de Heidegger, à côté duquel « Cassirer semblait être un nain ». Leo Strauss a participé à la Première Guerre Mondiale comme interprète sur le front belge.

Après un travail sur Spinoza et sa critique de la science de la Bible et un emploi à l'Académie du Judaïsme (Akademie des Judentums) de Berlin, sous la direction de Julius Guttmann, Strauss obtient une bourse d'étude Rockefeller pour travailler à Paris sur les philosophies arabes et juives médiévales ; il y rencontre Louis Massignon et il renoue avec des émigrés rencontrés antérieurement à Berlin, comme Alexandre Kojève ou Alexandre Koyré. En 1932, à Paris, il épouse Mirjam (Marie) Berenson (ou Bernsohn). Le couple quitte Paris pour Londres et Cambridge, ou Strauss occupera un poste universitaire. Il travaille sur les manuscrits de Hobbes jusqu'en 1937 (c'est de cette période que sortira l'ouvrage La Philosophie Politique de Hobbes), puis gagne seul les États-Unis cette année-là. Mirjam et Leo Strauss n'auront pas d'enfant ensemble, mais Mirjam avait déjà un fils d'un mariage précédent et ils adopteront la nièce de Strauss, Jenny, fille orpheline en 1942 d'une sœur et de Paul Kraus.

Il occupe divers postes dans des College, puis enseigne à la New School for Social Research de New York. En 1949 il obtient un poste de professeur à la Faculty for Social Science de l'Université de Chicago (Strauss n'enseignera jamais à la Faculty of Philosophy), puis à Stanford en Californie. Professeur émérite à Chicago, il est invité à la fin de sa vie à Saint John's College à Annapolis (banlieue de Washington, D.C.) dans le Maryland où il finit ses jours en 1973. Leo Strauss est inhumé dans le cimetière juif d'Annapolis.

[modifier] Thématiques

On peut avancer que l'interprétation straussienne de la philosophie prend appui sur la thèse développée par Platon dans sa République : ce qui est premier pour nous, et qui apparaît à la lettre comme phénomène, ce sont les opinions (doxa). Leo Strauss considère dès lors que la philosophie première est l'étude des opinions dans la Cité (c'est ainsi la philosophie politique qui est la philosophie première, et non la métaphysique). Strauss diagnostique (après Jean-Jacques Rousseau et Friedrich Nietzsche) trois vagues constitutives de modernité (cf. son article Three Waves of Modernity).

La première vague, fondatrice des représentations « libérales » de la vie politique, est la crise anti-théologique articulée dans l'œuvre de Machiavel.

La seconde vague est portée par les Lumières, qui relèguent la Foi au rang de superstition et qui se donnent pour but explicite de populariser la Science. Cette deuxième vague porte en elle un élément critique majeur qui accompagne son déploiement : la philosophie de Rousseau.

La troisième vague, issue du positivisme scientifique et de l'historicisme, dans la lignée de Hegel et de Comte, porte en son sein le nihilisme européen, tel qu'il s'est déployé avant et après la Première Guerre mondiale avec le militarisme allemand et le nazisme et tel qu'il est annoncé et au final élaboré, d'un côté par Nietzsche et de l'autre par Heidegger.

Strauss s'interroge sur la « crise de notre temps » en réfléchissant sur le libéralisme antique et le libéralisme moderne et en apportant des réponses qui mettent en accusation le relativisme des valeurs, relativisme présent au cœur des sciences sociales modernes; il prône un retour réflexif sur les problématiques élaborées par les Classiques, notamment Aristote et Platon, mais surtout cherche à penser les raisons pour lesquelles le libéralisme antique a été abandonné. Cette question ouvre l'entreprise proprement archéologique de Leo Strauss, qui consiste à relire et réinterpréter la tradition philosophique européenne et à la confronter aux traditions littéraires des trois monothéismes, d'une part en réactualisant la Querelle des Anciens et des Modernes et, d'autre part, en questionnant la thématique théologico-politique.

La mise en cause des opinions les mieux répandues dans les régimes démocratiques (« la poursuite sans joie de la joie », pour donner une formule présente chez Locke, ou la « passion de l'égalité », comme le note Alexis de Tocqueville) semble légitimer un certain élitisme, présent chez un Platon, bien que la question du meilleur régime (et partant du meilleur législateur) ne soit pas en propre celle de Strauss. L'élitisme supposé de Leo Strauss repose sur la prise en compte d'un topos aristotélicien : le plaisir ne saurait être confondu avec le Bien (cf. Aristote, Éthique à Nicomaque). Or, le plus grand nombre opère cette identification. La foule (Oi polloi) recherche les plaisirs du corps plus que le bien; elle recherche le bonheur matériel plus que la recherche zététique de la vérité.

La question d'une distinction entre le grand nombre et le petit nombre, n'est pas seulement une affaire qui concerne la recherche de la vérité philosophique : elle est aussi et surtout un donné politique. C'est le petit nombre qui possède en Grèce les moyens de s'adonner à la charge des affaires politiques. L'égalisation des conditions de vie matérielle, la naissance de la bourgeoisie et de la classe moyenne dans l'horizon historique des nations démocratiques va colorer de nouveau cette question. Celle-ci, présente tout au long de l'histoire politique, cache une autre question difficile : les philosophes ont besoin de la Cité, mais la Cité n'apprécie guère les philosophes (voir la figure fondatrice et emblématique de Socrate, condamnée et mis à mort par le clan démocrate, sous les accusations de Mélétos et Anytos). C'est dans ce contexte que l'ésotérisme apparaît comme nécessaire : la vulgarisation de la Science, ou l'usage intempérant de certaines vérités, présente un vrai danger pour la stabilité du lien social (c'est un thème travaillé par Rousseau dans son Discours sur les Sciences et les Arts). La vie politique est l'arène où la poésie entre en lutte avec la philosophie. Ce thème est travaillé par Strauss en de nombreuses occasions, en particulier dans ses ouvrages qui traitent indirectement ou directement du rapport entre Aristophane (la comédie) et Socrate (la philosophie).

Leo Strauss est un des philosophes contemporains (avec Hannah Arendt, Erich Voegelin, Raymond Aron, ou un Claude Lefort) qui a su revitaliser la philosophie politique, notamment en réfléchissant sur les rapports entre la Loi et le Droit naturel. Admirateur de Shakespeare et de Churchill, disant volontiers que « les amis de la démocratie ne sont pas ses flatteurs », Leo Strauss apparaît comme un philosophe étonnant, détonnant et passablement inactuel, dont la lecture difficile se prête à de nombreux contresens. Marginalisés sur les campus universitaires américains par des études à contre-courant de la mode du jour, ses élèves ont pu, çà et là, influencer les représentations théoriques qui ont accompagné la montée en puissance récente de la politique étrangère américaine. Certains néo-conservateurs américains, qui refusent le conservatisme classique de leurs aînés, se réclament de Leo Strauss. La perméabilité des milieux universitaires, où l'on voit les professeurs quitter leur chaire pour occuper un poste de conseiller, ou d'éditorialiste dans un journal d'opinion a pu faire croire que de The National Interest au Weekly Standard, en passant par Commentary, tout le monde puisait ses idées dans l'œuvre de Leo Strauss, ce qui a pu alimenter quelques théories du complot, ou jeter Leo Strauss dans la marmite aux vilains. On a pu dire ainsi que Paul Wolfowitz, malgré ses propres démentis, était l'élève néo-conservateur le plus fidèle de Strauss. Leo Strauss répondrait, s'agissant du lien entre son œuvre et l'activité politique militante de droite, comme de gauche :

« Let us beware of pursuing a Socratic goal with the means, and the temper, of Thrasymachus. »
(Leo Strauss, Natural Right and History)

[modifier] Thèses

Aborder les thèses de la pensée de Leo Strauss requiert beaucoup de doigté, d'humilité et de vertu. En effet, son œuvre ne se présente absolument pas comme une philosophie, mais plus volontiers comme une succession d'études et de compte-rendus en histoire de la philosophie. Il serait cependant erroné de penser que ces études ne contiennent pas un ou plusieurs fils conducteurs, et que nous ayons affaire au mieux à des ouvrages d'érudition, ce qui au demeurant n'est pas faux.

Pour saisir de quoi il retourne lorsqu'on se penche sur l'œuvre de Leo Strauss, une solution (qui n'est sans doute pas la meilleure) consisterait à prendre en considération sa production littéraire dans sa dimension chronologique et à l'examiner telle qu'elle nous est parvenue, ainsi que nous y invite Strauss lui-même en comprenant l'auteur tel qu'il se comprenait lui-même.

[modifier] Raison et Révélation

La première chose que nous pouvons dire est que la pensée de Leo Strauss s'articule d'abord à une série d'interrogations sur les rapports entre la philosophie et les révélations issues de la Bible. Pour citer un discours prononcé à Saint John's College à la fin de sa vie (An Unspoken Dialogue at Saint John's), Strauss a été très tôt pris « in the grip of the theologico-political problem » (« dans l'étau du problème théologico-politique »). La question du rapport entre la raison et la révélation est centrale dans toute l'œuvre de Strauss et évidemment problématique, puisque lorsque Strauss parle du « factum brutum » de la Révélation, on peut se demander à quoi il fait référence. Bien évidemment, cette question n'est pas intéressante en soi, comme si elle était suspendue au-dessus du vide : elle le devient lorsqu'il s'agit de se demander ce qui est mis sous les concepts de raison et de révélation. L'enjeu concerne les représentations que nous nous faisons du philosophe et de la philosophie, comme de la place qui leur est faite dans la vie politique (dans la Cité) et telles que l'histoire nous les rapporte. Le rapport entre le philosophe et la Cité est thématisé par la figure de Socrate et singulièrement chez Strauss, par une attention extrême à la figure du Thrasymaque, tel qu'il est présenté dans le dialogue de Platon, la République. On se souvient que l'acte d'accusation contre Socrate à son procès comportait des éléments concernant le blasphème, ou en tout cas la remise en cause du caractère sacré de la Loi. Le philosophe, qui est cet homme épris du désir de vérité que décrit le Banquet de Platon se trouve confronté aux accusations que la Cité porte contre lui (accusations anciennes portées par Aristophane : « Socrate se consacre à l'étude de ce qui est dans le ciel et sous la terre » - cf. Aristophane, Les Nuées) et qui ont comme motif de défendre la vie politique dans ses opinions, comme seule vie possible et à la fois de défendre le caractère sacré de la Loi. Le caractère public de la loi et son enracinement dans une religion elle aussi publique (ce qui est le cas dans la vie athénienne, comme dans la république romaine, car les dieux y sont, comme le rappelle Fustel de Coulanges, dans son ouvrage « La Cité Antique », des « dieux municipaux ») va être le point de départ paradigmatique du travail de Leo Strauss. Il est cependant intéressant de noter que ce paradigme sera développé dans le détail, avec les études consacrées par Strauss à la figure de Socrate, à la fin de sa vie, rejoignant les travaux développés en 1935 dans « la Philosophie et la Loi » (Philosophie und Gesetz). Cependant, comme le font remarquer des chercheurs aussi perspicaces que Rémi Brague, il faut être attentif à la manière dont Strauss lit Platon et à la manière dont il l'interprète. Le peu de cas fait de la doctrine des idées, ou de l'immortalité de l'âme ou tout simplement la grille de lecture adoptée dans le commentaire de la République de Platon (dans La Cité et l'Homme, on peut remarquer l'accent mis dans le commentaire aux rapports entre Socrate et Thrasymaque), sont des indices qui font signe vers un certain platonisme. L'accent mis sur la religion dans laquelle la Loi est un horizon majeur, induit le lecteur à s'interroger sur les décisions intellectuelles par lesquelles Strauss interroge le Christianisme. C'est, semble t-il un des points qui restent à travailler chez les spécialistes : les conceptions du philosophe de Chicago laissent apparemment dans l'ombre, tout en disséminant les indices, les développements théologico-politiques qui ont été à l'œuvre dans les crises de la modernité.

Le propos initial de Leo Strauss est la colère anti-théologique, d'abord dans l'œuvre de Machiavel, puis chez Spinoza et dans l'œuvre de Hobbes. À noter que c'est d'abord par Spinoza, puis Hobbes, que Leo Strauss entreprend son exploration de la crise de la modernité, bien que dans la suite, c'est de Nicolas Machiavel qu'il fera le « grand ancêtre » de cette crise. Notons tout de suite que le parcours intellectuel de Strauss semble aller de Spinoza à Socrate, puisqu'il publie en 1935 son ouvrage sur Spinoza et en 1972 le Xenophon's Socrates. Dans l'intervalle, Strauss va explorer la question de la philosophie dans le Judaïsme et dans l'Islam médiéval, en remontant à Moïse Maïmonide et à al-Farabi.

La question centrale qui permet de nouer la tension entre raison et révélation est celle qui porte sur la vérité de la Loi : qu'est-ce que la vie bonne ? Quel est le meilleur régime ? Qu'est-ce que la justice ? Comment accède t-on à la connaissance de la Loi ? Ici, nous pouvons circonscrire le propos à l'essentiel: les questions concernant la justice, le meilleur régime et la vérité de la Loi sont traditionnellement portées dans la Cité par les poètes, les philosophes, les législateurs et les prophètes. Or, si nous examinons nos opinions, nous voyons bien que dans les catégories énoncées ci-dessus, certaines sont, dans la modernité, disqualifiées. Force est de constater un reflux de la religion, ou pour le dire d'une manière faussement claire, mais suggestive, une sécularisation de thèmes religieux. La religion a changé d'aspect, pour ne pas dire qu'il ne reste plus d'elle, ici et maintenant, que des lambeaux d'une morale. Le jeune Strauss, lecteur de Nietzsche, est sensible à la crise de la modernité, à la thématique du dernier homme. La religion des Anciens Grecs et Romains, mais aussi des Juifs et des Musulmans, est une religion de la Loi, c'est-à-dire une religion qui donne ses lois à la Cité. Se pose donc la question de savoir quel est le rapport entre la philosophie et la Loi, d'une part chez les Anciens, et d'autre part dans le rationalisme moderne, marqué par le Christianisme et la crise introduite à la fin du monde médiéval latin par la Réforme protestante. L'ouvrage de Strauss sur Spinoza va ainsi être une enquête à la fois sur la philosophie et la critique biblique, mais aussi sur le rationalisme moderne et ses rapports à la révélation chrétienne, tout en annonçant le travail ultérieur sur le rationalisme médiéval de Maïmonide. Comme signalé plus haut, la dimension problématique de l'œuvre de Strauss ici n'est pas toute entière contenue dans les difficultés propres à la question de « l'art d'écrire », que Strauss met en avant justement dans le cadre de ses études des penseurs médiévaux comme Maïmonide et Al-Farabi, mais cette dimension se nourrit essentiellement de ce qu'il y a à trouver chez Al-Farabi. Le lecteur intéressé se reportera, sur ce point, à l'article « Le Platon de Farabi » et au texte de Farabi lui-même, « la Philosophie de Platon ».

[modifier] L'art d'écrire

Parallèlement à la mise en place des termes de la tension entre raison et révélation, tension qui est le problème du philosophe, Leo Strauss va réactiver l'ésotérisme philosophique, qui est un topos de la philosophie ancienne, mais que les lecteurs modernes sous-estiment naïvement depuis qu'ils ont subi le charme vénéneux des Confessions de Jean-Jacques Rousseau. Sous la notion d'ésotérisme, il faut entendre la chose suivante : ce qui dans les anciennes écoles philosophiques était enseigné aux élèves n'était pas la même chose que ce qui était divulgué au plus grand nombre et au vulgaire, c'est-à-dire à ceux qui n'étaient pas initiés aux implications des théories professées à l'intérieur de l'École, souvent dangereuses pour la société. Même Rousseau, qui pourtant professe une franchise sans limite, avoue dans ses écrits de justification qu'il emploie un certain art d'écrire, afin de ne pas dévoiler aux mauvais lecteurs ce qu'il pense vraiment. Cet art d'écrire, Strauss le découvre chez Lessing grâce à Jacob Klein rencontré à Marbourg. Sa propre perception de ce qu'est l'ésotérisme philosophique sera détaillée dans un petit ouvrage qui s'intitule Persecution and the Art of Writing (1953).

Très logiquement, Leo Strauss va appliquer à ses propres œuvres cette manière de construire très attentivement son propos, de mettre l'accent sur des détails insignifiants et de taire sciemment des thèses qu'un lecteur averti s'attendrait à lire. Une des difficultés de la lecture des œuvres de Strauss, et de la grande incompréhension manifeste dont elle est parfois l'objet, tient à cet art de la composition qui transforme le travail de lecture en une véritable exploration labyrinthique pour laquelle il faut être très sérieusement équipé. Leo Strauss est en effet, on l'a dit, non seulement d'une prodigieuse érudition, mais son propos n'est pas exempt d'obscurités manifestes ou de notes désarçonnantes; en exagérant, on peut y voir un ensemble cohérent d'allusions, dont certaines sont lumineuses et d'autres très obscures. Néanmoins, Leo Strauss invite son lecteur à relire, sur la base de cette prudence propre au bon lecteur, les grands textes de la tradition philosophique et littéraire. Il y invite pas seulement explicitement, par exemple dans son article sur ce qu'est l'éducation libérale, mais surtout implicitement car son argumentation puise directement dans cette tradition, de telle manière que le lecteur, s'il veut garder le cap de sa lecture, se trouve devant une tâche dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle invite à l'humilité: lire les textes auxquels Strauss fait référence (si possible dans l'original), pas par souci de pédantisme, mais pour vérifier les chausse-trappes par lesquelles Strauss cherche à fourvoyer ceux qui ne savent pas lire (quiconque lit les notes au bas des pages de Strauss sait ce que signifie être dérouté). Strauss découvre dans la tradition philosophique des médievaux arabes, Averroès, Avicenne, Razi, et notamment Farabi, le maître de Maimonide, le model type de la philosophie liée, nécessairement aux questions cruciales: la Religion et la Politique. D'où, en une grande partie, son fameux: Persecution and Art of Writing. L'art d'écrire, qui semble être une pratique qui étonne nos contemporains, fait signe ainsi vers une ambiance intellectuelle qui ne semble plus être la nôtre. La question est de savoir pourquoi cet art n'est plus employé; il faudrait d'abord enquêter d'abord pour savoir s'il est vrai qu'il ne l'est plus. Pour répondre à cette question, il faut la situer dans les progrès de la liberté. Il n'est pas absolument impossible que le libéralisme politique, qui semble être la marque de la modernité, ait eu tendance à neutraliser, du moins en partie le besoin de sceller sa pensée. Aujourd'hui (pouvons-nous dire), personne n'est mis à mort, comme Socrate, pour son activité d'enseignement. Personne n'est emprisonné et n'a à répondre de sa vie, parce qu'il a publié un ouvrage, alors qu'un Rousseau a vu saisir et brûler l'Émile. Sans pouvoir prétendre résoudre ici cette question de la censure, du moins pouvons-nous dire que les conditions de la vie politique, si elles ont changé sur le plan de la liberté et de son expression, n'en restent pas moins tributaires des opinions. Il faudrait, de ce point de vue, proposer des nuances : la liberté de penser et de critiquer masque mal les difficultés sans nombre qui attendent celui qui remettrait en cause les fondements sacrés des régimes politiques modernes qui, mutatis mutandi, doivent pouvoir répondre à l'examen philosophique, puisque leurs fondements mêmes s'enracinent dans la probité intellectuelle et le libre examen rationnel. C'est cet examen, en tant que pratique libre permise à quiconque, qui fait l'objet de l'examen sourcilleux de Leo Strauss, lorsqu'il réactive la Querelle des Anciens et des Modernes.

[modifier] La Querelle des Anciens et des Modernes

Après avoir lu l'article consacré dans cette Encyclopédie à la querelle des anciens et des modernes, le lecteur posera légitimement la question du rapport entre cette querelle et la pensée de Strauss. Celui-ci reprend à son compte les termes du débat pour mettre en question la représentation que la modernité se fait de la vulgarisation de la recherche philosophique. Une des caractéristique de la modernité est la volonté de l'égalité, elle même fondée sur une éducation populaire. Il est manifeste que les Lumières modernes ont eu comme souci d'éradiquer l'obscurantisme et la superstition pour faire place à la raison et à la foi (c'est la formule que Kant emploie dans l'Introduction à la Critique de la Raison Pure). Le XVIIIe siècle allemand est riche d'ouvrages consacrés à cette question de l'éducation du genre humain (pour citer le titre d'un ouvrage de Schiller), par laquelle un peuple jadis composé de médiocres est censé prendre en main son destin et accélérer le mouvement de l'histoire vers les progrès du Droit. L'histoire politique devra rendre compte de ce mouvement qu'Eric Voegelin a appelé, s'agissant de Hegel et de Marx, la Nouvelle Gnose. L'idée selon laquelle le présent donne des leçons au passé, précisément parce qu'il représente un progrès notable dans les mœurs, les idées, etc. est profondément ancrée dans la modernité. On peut dire que la Querelle des Anciens et des Modernes sera le symbole de ce qui va devenir l'enjeu de la lutte entre l'esprit philosophique et l'esprit historique, esprit historique représenté par l'idéalisme allemand et le positivisme français. L'homme, dit Nietzsche, est devenu un être historique, notion qu'il faut entendre dans les propos de Strauss, comme la dernière des illusions de la modernité: croire que les changements dus au progrès, mais surtout rendus possible par la vulgarisation des sciences, est un bien en soi. Comme le souligne Leo Strauss, le fait que nombreux sont les ingénieurs capables de fabriquer une bombe atomique n'est en rien une certitude que la prudence politique, sur lequel se fonde l'usage de la bombe atomique, ait parallèlement progressé au rythme de la Science. Il pourrait bien en être autrement, si l'on en juge par la violente crise du monde européen qui a ébranlé le XXe siècle.

L'historicisme et le positivisme des sciences sociales sont les fruits problématique de la science conçue à nouveaux frais par les modernes, dont l'enjeu est la séparation entre les faits et les valeurs, voire la disparition de toute notion d'un Droit Naturel propre à l'être humain. La querelle des Anciens et des Modernes, si elle devait trouver son aboutissement dans la victoire des Modernes, verrait triompher le relativisme et le nihilisme moral, accompagnés d'une juridicisation indéfinie des rapports humains.


[modifier] La distinction entre les faits et les valeurs

Le lecteur attentif verra que les ouvrages que Strauss publie dans les années 1950, ainsi que certains articles, comportent tous une attaque directe ou indirecte contre les sciences sociales. C'est le cas, par exemple, des premières pages de Natural Right and History. On peut arguer du fait qu'en arrivant à Chicago, Strauss ne va pas enseigner dans le département de philosophie, mais dans le département de sciences sociales. Sur le fronton de ce bâtiment, on peut encore y lire une formule de Lord Kelvin : « Tout ce qui ne se mesure pas ne peut être objet de science. » Ce n'est probablement pas seulement dans un rapport de contingence qu'il faut appréhender le rapport de Leo Strauss à Auguste Comte ou Max Weber et de manière générale à la sociologie. Il s'en explique d'ailleurs très clairement : distinguer les faits et les valeurs c'est accepter le fait que les conseillers politiques, qui peuvent être des experts scientifiques du nucléaire, n'aient aucune idée quant à la question de savoir quand, pourquoi contre qui et dans quelle mesure il faut faire usage de l'arme nucléaire. Or, les sciences humaines, qui cherchent avant toute chose à se donner des instruments de quantification des phénomènes humains, ne sauraient être d'aucune aide, du fait de leur souci d'appartenir à la Science, qu'elles revendiquent, pour autant qu'elles ne voient pas dans les phénomènes humains qu'elles étudient pourtant, une composante politique qui repose avant toute chose sur un système de valeurs. La revendication d'une neutralité axiologique est problématique; pas seulement du fait que l'objet de science soit le fait humain, mais parce que l'agir humain n'est pas, en dernière analyse, dépourvu de toute orientation politique. La question : "Qu'est-ce que le meilleur régime ?" ne saurait être une question que l'on peut envisager clairement en distinguant les faits des valeurs. La vie politique, qui est la caractéristique propre à la nature humaine, repose à l'évidence sur des actes qu'il convient de rechercher, parce que dans cette recherche, c'est le Bien humain qui est accompli. Nous voyons ainsi se creuser la différence entre les philosophies de la liberté issue des Lumières et les positions de Strauss qui semblent relever de la téléologie de la philosophie ancienne. Strauss acquiesce à la formule d'Aristote : "Tout art, toute action, est accomplie en vue de quelque bien" et non pas en vue "d'affirmer par là notre liberté" (cf. Descartes, Lettre au P. Mesland. 9 Février 1643).

[modifier] Œuvres

[modifier] Éditions en allemand

Leo Strauss. Gesammelte Schriften. 7 Bd. Herausgegeben von Heinrich MEIER. Stuttgart (D). Metzler Verlag, 1996-... 3 volumes parus (en 2004). Édition complète en allemand des textes de Leo Strauss. Cette édition recueille tous les textes de jeunesse de L.S. (jusqu'en 1937 pour les volumes 1 à 3), et une partie de la correspondance. Les volumes 4 à 6 portent sur les écrits théologico-politiques, la traduction allemande de On Tyranny et des Thoughts on Machiavelli.

  • BAND 1 : Die Religionskritik Spinozas und zugehörige Schriften.
  • BAND 2 : Philosophie und Gesetz - Frühe Schriften.
  • BAND 3 : Hobbes' politische Wissenschaft und zugehörige Schriften - Briefe.
  • BAND 4 : Politische Philosophie. Studien zum theologisch-politischen Problem.
  • BAND 5 : Über Tyrannis.
  • BAND 6 : Gedanken über Machiavelli.

[modifier] Éditions anglaises

  • Spinoza’s Critique of Religion, 1930
  • The Political Philosophy of Hobbes, 1936
  • De la tyrannie, 1950 (ouvrage édité d'abord en français, puis en anglais)
  • Persecution and the Art of Writing (La Persécution et l’art d’écrire), 1952
  • Natural Right and History (Droit naturel et histoire), 1953
  • Thoughts on Machiavelli (Pensées sur Machiavel), 1958
  • What Is Political Philosophy (Qu’est-ce que la philosophie politique ?) 1959
  • The City and Man (La Cité et l’homme), 1963
  • Socrates and Aristophane (Socrate et Aristophane), 1966
  • Liberalism Ancient and Modern (Le Libéralisme ancien et moderne), 1968
  • Xénophon's Socrates (Le Socrate de Xénophon), 1972
  • en co-édition avec Joseph Cropsey History of Political Philosophy, 1963

Tous ces ouvrages existent en traduction française.


[modifier] Bibliographie

[modifier] En français

La bibliographie sur Leo Strauss en français est encore assez mince, mais on voit apparaître des thèses universitaires en langue française sur Leo Strauss. Bien qu'avant l'année 2000, rares ont été les études de fond, on trouve maintenant des références qui ne se limitent pas à quelques articles. L'ouvrage de Daniel Tanguay est celui qui fournit une présentation raisonnée la plus aboutie de la pensée de Strauss.

  • Abensour, Miguel et Edmond, Michel-Pierre: Leo Strauss. Notice dans l'Encyclopedia Universalis.
  • Aron, Raymond. Réponse à Strauss, in Max Weber, Le savant et le politique. Paris, Plon, 1959.
  • Belaval, Yvon, « Pour une sociologie de la politique ». Critique, 77, octobre 1953, pages 852-856.
  • Bloom, Allan. « Leo Strauss: un vrai philosophe ». Commentaire, 1, 1978, p. 91-110.
  • Bouretz, Pierre. Témoins du futur: philosophie et messianisme, Chapitre VII: le testament de Leo Strauss. Paris, Gallimard, 2003. 1249 pages. ISBN : 2070768910.
  • Chalier, Catherine. « Leo Strauss : entre le théologique et le politique ». Les Temps Modernes, 551, juin 1992, p. 121-144.
  • Delange, Jean-Pierre (ed.). « Lectures de Leo Strauss ». Dijon, Editions du CRDP-Auvergne-Bourgogne. 1999, 95 pages. Articles de Jean-Pierre Delange, Olivier Sedeyn, Terence Marshall, Adrien Barrot.
  • Delange, Jean-Pierre. « Leo Strauss: une bibliographie », in Jaffro, Laurent et alii: Leo Strauss: Art d'écrire, Politique, Philosophie, Paris, Vrin, 2001, p. 279-322. Bibliographie en français à ce jour la plus complète, bien qu'elle s'arrête en 1997.
  • Revue de Métaphysique et de Morale, Juillet-Août 1989. Numéro spécial consacré à Leo Strauss. Il s'agit de la première tentative universitaire en France pour cerner les divers aspects de la pensée de Leo Strauss. Articles de Richard Bodéüs, Rémi Brague, Pierre Manent, Michel-Pierre Edmond.
  • Pelluchon, Corine, Leo Strauss. Une autre raison, d'autres Lumières : essai sur la crise de la rationalité contemporaine. Paris, Vrin, 2005. 314 pages. ISBN : 2711617564. Ouvrage issu de la thèse que l'auteur a soutenue en Sorbonne.
  • Sfez, Gérald Leo Strauss lecteur de Machiavel : la modernité du mal. Paris, éditions Ellpses, 2003. 224 pages. ISBN : 2729813446.
  • Tanguay, Daniel, Leo Strauss: une biographie intellectuelle, Grasset, 2003. Réédition en 2005 en format de poche, dans la collection "Biblio-Essais" : ISBN : 2253130672. 408 pages. Travail de fond, très sérieux et articulé, incisif, qui cerne bien les difficultés de la pensée de Strauss et les expose clairement.

[modifier] En anglais

  • Cooper B. and Emberley P., Faith and Political Philosophy : Correspondence between Leo Strauss and Eric Voegelin (1934-1964), Penn State University Press 1993 (tr. fr; Vrin, 2004).
  • Udoff, Allan, Leo Strauss's Thought: Toward a Critical Engagement, Lynne Rienner Publishers, Boulder:CO, U.S.A., 1991. 327 pages. Index. (Articles de 13 auteurs sur tous les aspects de la pensée de Leo Strauss).
  • Green, Kenneth H., Jew and Philosopher: The Return to Maimonides in the Jewish Thought of Leo Strauss, State University of New York Press, 1993. 278 pages. Index. (Doctorat de Kenneth Green sur les rapports entre la pensée de Leo Strauss et celle de Maïmonide).
  • Deutsch, Kenneth and Nicgoski, Walter, Leo Strauss: Political Philosopher and Jewish Thinker. Lanham: MD, Rowman & Littlefield, 1994. 396 pages. Sans index. (17 articles répartis en deux moments : 1) judaïsme, raison et révélation; 2) modernité, politique et démocratie américaine). Recueil initialement publié dans The Review of Politics (Winter 1991).
  • Deutsch, Kenneth and Soffer, Walter, The Crisis of Liberal Democracy: A Straussian Perspective. SUNY Press, 1987. 304 pages. Index.(Recueil de 14 articles sur 3 parties).
  • Deutsch, Kenneth and Murley, John, Leo Strauss, the Straussians and the American Regime. Lanham: MD, Rowman & Littlefield, 1999. 451 pages. Pas d'index.(recueil de 29 articles sur 5 parties. L'ouvrage concerne Leo Strauss et commme l'indique le titre quelques-uns de ses élèves.)
  • Une bibliographie générale vient de paraître chez l'éditeur Rowman & Littlefield - Lexington Books, par John A. Murley. Leo Strauss and His Legacy . Lexington Books, 2005. ISBN : 0739106163. 937 pages.

[modifier] Voir aussi

[modifier] Articles connexes

Hannah Arendt | Raymond Aron | Allan Bloom | Ayn_Rand | Ernest Fortin | Hans-Georg Gadamer | Julius Guttmann | Claude Lefort | Martin Heidegger | Jacob Klein | Alexandre Kojève | Paul Kraus | Gerhard Krüger | Helmut Kuhn | Karl Löwith | Shlomo Pinès | Kurt Riezler | Carl Schmitt | Gershom Scholem | Alfred Schütz | Erich Voegelin | Néo-conservatisme | Libéralisme économique | Oligarchie | La République (Platonicienne)

[modifier] Liens externes

  • (en) Biographie de Leo Strauss, par David Mc Bryde ;
  • (en) Une page aux multiples ressources dévolue à Leo Strauss (bibliographies, discussions, etc.).
  • La page de Claude Rochet résume les enjeux du débat autour de la philosophie de Leo Strauss.
  • Leo Strauss, l'idéologie fasciste des faucons note critique du groupe de Lyndon Larouche qui s'est fait une spécialité de propager la campagne "Leo Strauss, idéologue fasciste"


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