Testimonium flavianum
Un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
|Le Testimonium Flavianum est un témoignage sur Jésus de Nazareth de l'historien juif de la fin du Ier siècle, Flavius Josèphe.
Sommaire |
[modifier] Les sources
Le Testimonium flavianum se trouve au chapitre 3 du Livre 18 des Antiquités juives, dont nous avons plusieurs manuscrits datant du Moyen Âge, ainsi que dans deux ouvrages d'Eusèbe de Césarée : L'Histoire ecclésiastique et la Démonstration évangélique. Le texte est cependant suspect d'avoir été interpolé, notamment les passages signalés entre crochets :
- « En ce temps-là paraît Jésus, un homme sage, [si toutefois il faut l'appeler un homme, car] ; c'était un faiseur de prodiges, un maître des gens qui recevaient avec joie la vérité. Il entraîna beaucoup de Juifs et aussi beaucoup de Grecs ; Celui-là était le Christ. Et quand Pilate, sur la dénonciation des premiers parmi nous le condamna à la croix, ceux qui l'avaient aimé précédemment ne cessèrent pas. [Car il leur apparut après le troisième jour, vivant à nouveau ; les prophètes divins avaient dit ces choses et dix mille autres merveilles à son sujet]. Jusqu'à maintenant encore, le groupe des Chrétiens [ainsi nommé après lui] n'a pas disparu. » (trad. tirée de Perrot : Jésus, PUF)
Il existe une autre version, celle contenue dans l'Histoire universelle d'Agapios de Menbidj, évêque melchite de Hiérapolis au Xe siècle, en langue arabe :
- « À cette époque-là, il y eut un homme sage nommé Jésus dont la conduite était bonne ; ses vertus furent reconnues. Et beaucoup de Juifs et des autres nations se firent ses disciples. Et Pilate le condamna à être crucifié et à mourir. Mais ceux qui s'étaient faits ses disciples prêchèrent sa doctrine. Ils racontèrent qu'il leur apparut trois jours après sa crucifixion et qu'il était vivant. Il était considéré (par eux) comme le messie au sujet duquel les prophètes avaient dit des merveilles. » (trad. tirée de Perrot : Jésus, PUF).
[modifier] Débat sur l'authenticité
La question de l'authenticité du Testimonium flavianum se pose depuis le XVIe siècle et la prise de position de Lucas Osiander. En effet, Origène, dans son Contre Celse, affirme que Josèphe ne croyait pas que Jésus était le Christ. La controverse s'est intensifiée au XVIIe siècle puis au XVIIIe siècle où Voltaire et les encyclopédistes ont imposé l'idée d'un faux. Ernest Renan fut le premier savant moderne d'envergure, cependant après Henri Wallon, à défendre l'authenticité, sous réserve d'interpolations mineures. La thèse de l'interpolation totale a été prédominante entre les deux guerres, puis, à la suite de la publication des manuscrits syriaques par Shlomo Pinès, celle de l'interpolation partielle. Le développement récent des études sur le judéo-christianisme a renouvelé la façon de considérer le texte et relancé la thèse de l'authenticité complète. Aujourd'hui, les avis restent partagés et l'on trouve des partisans de chaque point de vue aussi bien chez les juifs, les chrétiens et les chercheurs qui n'ont pas de conviction religieuse.
[modifier] Interpolation complète
L'ensemble du passage serait un ajout chrétien, antérieur au début du IVe siècle. Les raisons qui permettent d'affirmer que ce passage est un faux sont:
- 1 Un juif orthodoxe comme Flavius Josèph, qui resta fidèle au judaïsme jusqu'à sa mort, qui éduqua ses fils à cette religion, un Juif qui considère comme son plus grand orgueil celui d'être le descendant d'une souche sacerdotale hébraïque, un Juif qui écrit, comme lui même le dit dans la présentation de "Antiquités Judaïques", pour démontrer la supériorité de la religion mosaïque sur toutes les autres, ne peut absolument pas avoir reconnu comme vrais les concepts de base de la catéchèse chrétienne, il ne peut avoir affirmé que Jésus était le vrai Christ, c'est-à-dire la réalisation du Messie dont lui-même, en tant que Juif, attendait encore la venue.
Voltaire écrit ainsi dans son dictionnaire philosophique (chap.V): « Les chrétiens, par une de ces fraudes pieuses, falsifièrent grossièrement un passage de Flavius Josèphe. Ils supposent à ce juif, si entêté de sa religion, quatre lignes ridiculeusement interpolées ; et au bout de ce passage ils ajoutent : Il était le Christ. Quoi! Si Josèphe avait entendu parler de tant d'événements qui étonnent la nature, Josèphe n'en aurait dit que la valeur de quatre lignes dans l'histoire de son pays! Quoi! ce Juif obstiné aurait dit : Jésus était le Christ. Eh ! si tu l'avais cru Christ, tu aurais donc été chrétien. Quelle absurdité de faire parler Josèphe en chrétien! Comment se trouve-t-il encore des théologiens assez imbéciles ou assez insolents pour essayer de justifier cette imposture des premiers chrétiens, reconnus pour fabricateurs d'impostures cent fois plus fortes ! ». (Dictionnaire philosophique, rubrique Christianisme, Voltaire)
- 2 Le passage est mis entre deux faits qui l'excluent rhétoriquement.
Il suffit d'examiner les deux événements, reportés dans leur position originale, pour se rendre compte comment le passage concernant Jésus est une évidente insertion (maladroite) qui interrompt la relation séquentielle que Joseph Flavius voulait donner à deux disgrâces qui arrivent aux Juifs à cette époque.
Après avoir terminé le récit d'un massacre d'habitants de Judée par des soldats romains, suite à une émeute parce que Pilate s'était servi de l'argent du Trésor Sacré pour réaliser un aqueduc, par la phrase : « Ainsi se termina l'émeute », Joseph Flavius raconte ensuite une autre disgrâce qui frappe les Juifs en commençant ainsi : « Dans la même période un autre événement terrible jeta le désordre parmi les habitants de Judée et simultanément eurent lieu des actions de nature scandaleuse en connexion avec le temple d'Isis à Rome... ». Il a suffit de mettre entre les deux phrases, que l'auteur réunit comme les anneaux d'une chaîne, le passage concernant Jésus qui commence par : « Au même temps, environ, vécut Jésus, un homme sage... » pour se rendre compte que cette phrase est une interpolation grossière entre deux faits qui l'excluent.
Ce passage, est cité pour la première fois au IV siècle dans l'oeuvre d' Eusèbe de Césarée.
Représentants ce point de vue : Alfred Loisy, Paul-Louis Couchoud, Jacques Moreau, Charles Guignebert, Pierre Battifol, Léon Hermann, Daniel-Rops, Marie-Joseph Lagrange, Marcel Simon, Pierre-Aimé Puech, Edmond Staffer, Solomon Zeitlin, Pierre Geoltrain.
[modifier] Interpolation partielle
Le texte serait partiellement remanié : une fois retirées les expressions à connotation chrétienne, apparaît un texte cohérent, conforme au style de Josèphe, où Jésus est simplement considéré comme « un homme sage ». C'est le point de vue qui avait été adopté par Ernest Renan et qui est aujourd'hui celui de la majorité des spécialistes.
Les groupes de mots considérés comme interpolés varient selon les auteurs, mais en font le plus souvent partie : « si toutefois il faut l'appeler un homme » et « Celui-là était le Christ », moins souvent « Car il leur apparut... », et d'autres.
Shlomo Pinès, de l'Université hébraïque de Jérusalem a mis en valeur cette hypothèse en publiant des versions délaissées du Testimonium : celle d'Agapios, et celles des chroniqueurs Georges Kédrénos (rédigée en grec) et Michel le Syrien.
Il semble qu'ait circulé une forme courte du Testimonium, paraissant spécifiquement syrienne, qui ne comporte justement pas les passages controversés et qui s'opposerait à la tradition « occidentale ». La concordance des manuscrits, malgré l'existence de variantes, est en faveur de cette théorie.
L'idée sous-jacente est qu'elle aurait mieux préservé le texte original puisque présente dans une région où a persisté un christianisme indépendant du christianisme orthodoxe et qui s'est trouvée sous domination musulmane.
La version syrienne aurait, selon ses détracteurs, son origine dans la version grecque et en représenterait un état dégradé. Ainsi que le fait remarquer Étienne Nodet, « Il était considéré comme le Messie » implique que Josèphe n'utilisait pas le mot comme un nom mais évoquait bien la question de la messianité de Jésus (ce qui ramène, d'une certaine manière, à l'objection initiale portée contre le texte traditionnel) et que ses lecteurs romains étaient conscients de ce dont il s'agissait.
Représentants : Henri Wallon, Ernest Renan, Albert Reville, Maurice Goguel, Adolf Harnack, Robert Eisler, Guiseppe Ricciotti, Shlomo Pinès, Jean Daniélou, Antoine Guillaumont, Pierre Pringent, Charles Perrot, André-Marie Dubarle.
[modifier] Authenticité complète
Il s'agirait d'un témoignage sur le judaïsme du premier siècle à destination des païens, pour qui le Christ n'est qu'un agitateur, et des juifs pour qui il s'inscrit dans le courant messianique.
Les arguments en faveur de cette thèse sont les suivants :
- Origène déclare à deux reprises (dans son Commentaire de Matthieu et dans Contre Celse) que « Josèphe ne croyait pas que Jésus était le Christ ». Cela prouve qu'il connaissait un texte de Josèphe sur Jésus. Il comprenait que Josèphe ne croyait pas à la messianité du Christ même s'il le désignait ainsi.
- Josèphe pouvait difficilement ignorer Jésus alors qu'il décrit les événements en historien et que le christianisme avait pris de l'importance à Rome et déjà entraîné des persécutions. Il en parle d'ailleurs dans un autre passage, à propos de Jacques, dont à peu près personne ne dit qu'il ait fait l'objet d'une interpolation.
- Il procède souvent par digressions, ce qui explique la place du passage dans le récit. Théodore Reinach trouve normal que Josèphe ait parlé de Jésus au moment où il traitait de Pilate.
- A propos de l'impossibilité qu'il ait pu dire de Jésus qu'il était le Christ , on pourrait dire autant qu'un chrétien persuadé de sa divinité n' a pas pu écrire de Jésus qu'il était seulement un « homme sage ». De même, un chrétien n'aurait pas employé l'imparfait ni utilisé les mots « faiseur de prodiges ». En fait, ce mot de « Christ » n'est qu'une simple dénomination, la seule connue des Romains à laquelle Josèphe ne pouvait pas ne pas recourir. Serge Bardet souligne qu'elle a sans doute une valeur polémique : le terme Χριστος, "oint", mais aussi "enduit", ne s'appliquait, en-dehors du judéo-christianisme, qu'à un mur, de même que chez Suétone, Chresto, "le bon", est « vraisemblablement un sobriquet de type servile ».
- La mention « il leur apparut après le troisième jour, vivant à nouveau ; les prophètes divins avaient dit ces choses et dix mille autres merveilles à son sujet. » est la relation de ce que disent les chrétiens, explicative du fait que leur groupe n'ait « pas disparu ».
- Il y a une « extrême difficulté »[1] à croire à la possibilité d'interpolation intentionnelle dans tous les manuscrits. Le style du passage est bien celui de Josèphe. Une contrefaçon n'est pas envisageable parce qu'elle supposerait un talent hors du commun et c'est une idée qui ne pouvait venir à l'esprit d'un écrivain de l'Antiquité : les faux antiques sont des pseudépigraphes.
- Le Testimonium expose une christologie archaïque (pas d'allusion à la naissance virginale, au salut, à la fin des temps, à la Trinité) qui remonte au premier siècle.
- Il se situe normalement dans un livre qui s'adresse aux Romains mais aussi, et peut-être surtout, aux juifs, et parmi eux aux chrétiens qui appartenaient encore à cette époque au judaïsme et à qui il s'oppose : il condamne le phénomène messianique, auquel se rattache le Christ, qu'il décrit brièvement et assez ironiquement comme participant à une période d'agitation qui se terminera par la guerre et la destruction définitive du Temple.
Représentants : Gustave Bardy, Louis-Claude Fillion, Théodore Reinach, Alphonse Tricot, Léon Vaganay, Eugène Mayaud, André Feuillet, René Draguet, Franz Dornseiff, Henri Cazelles, Pierre Vidal-Naquet, André Pelletier, Étienne Nodet, Serge Bardet.
[modifier] Hypothèse des erreurs de transcription
C'est l'hypothèse marginale d'Herman Somers, un psychologue flamand qui s'est intéressé aux rapports entre psychologie et religion. Le mot « homme » aurait été répété au lieu du mot « sage » ; le texte original aurait donc contenu σοφον et non ανδρα . D'autre part, le mot grec αυτος, lui, aurait été confondu avec ουτος, celui-ci, ce qui aurait conduit à un changement de sens du texte qui aurait contenu à l'origine : « Vers ces temps là un homme sage est né, s'il faut l'appeler sage. Il accomplissait notamment des actes bizarres et est devenu un maître pour des gens qui l’acceptaient vraiment avec enthousiasme. Et il est parvenu à convaincre beaucoup de juifs et de grecs que le Christ c'était lui.»
Voir infra le lien externe
[modifier] Références
- ↑ Pierre Geoltrain, postface au livre de S. Bardet Le Testimonum flavianum, 2002
[modifier] Bibliographie
- Serge Bardet : Le Testimonium flavianum, Examen historique, considérations historiographiques, avec une postface de Pierre Geoltrain. Cerf 2002. L'auteur analyse les arguments avancés en faveur des différentes hypothèses, puis il aborde de manière nouvelle la question pour conclure en faveur de l'authenticité.