Art de la céramique en terre d'Islam
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La céramique, considérée comme un « art mineur » en Europe, est l'un des médias artistiques les plus utilisés dans les arts de l'Islam à toutes les époques et dans toutes les régions.
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[modifier] Connaissance et statut de la céramique en terre d'Islam
La céramique islamique est en général assez bien connue, bien qu'il s'agisse d'un domaine complexe, qui change constamment. La céramique appartient aux « arts du feu », et se divise en deux grandes famille : les pièces de forme (vaisselle) et les carreaux de revêtement muraux. Cependant, il faut considérer ces deux aspects ensemble, car ils sont intrinsèquement liés.
Plusieurs sources sont utilisées pour l'étude de la céramique islamique :
- les études scientifiques des matériaux ;
- les expériences en laboratoire destinées à recréer des pièces ;
- les textes, rarissimes, traitant du sujet. On en connaît principalement deux :
- l'un traite essentiellement du lustre métallique et se trouve à la fin d'un ouvrage de minéralogie écrit en Ouzbékistan,
- le second est un traité rédigé en 1301 par un potier iranien du nom d'Abul Qasim, qui donne de nombreuses recettes.
Le statut de la céramique est assez difficile à établir, d'autant que les pièces sont de qualité très variable, depuis la vaisselle commune jusqu'aux objets réservés à une élite. Les productions les plus coûteuses et les plus délicates ont évidemment un rôle de luxe, destiné à la cour, et ne sont pas forcément utilitaires.
La céramique est un art d'atelier, c'est pourquoi les noms de potiers restent le plus souvent inconnus, les pièces ne recevant pas de signatures. En revanche, on connaît un certain nombre de marques d'ateliers. Les lieux de production restent également souvent assez flous, d'autant que les céramiques sont fréquemment exportées, parfois sur de grandes distances, comme produits de valeurs ou comme contenants. On ne peut être sûr d'un lieu de production que grâce à des sources écrites fiables ou (surtout) à l'archéologie, lorsque sont découverts des fours, des ratés de cuisson, des éléments de fabrication, etc.
[modifier] La fabrication
[modifier] Matériau de base : la pâte
Il existe deux grands types de pâtes : la pâte argileuse et la pâte siliceuse.
La pâte argileuse est constituée en majeure partie d'argile avec un dégraissant : sable, Chaux, chamotte (argile cuite pilée), voire paille pour les céramiques très communes. Il s'agit d'une pâte souvent facile à travailler, qui constitue la plupart des céramiques jusqu'aux XIIe - XIIIe siècle, et sert ensuite pour les céramiques communes.
La pâte siliceuse au contraire contient au moins 80 % de silice, les 20 % restant se composant d'argile et de dégraissants. Cette pâte très blanche est également extrêmement difficile à travailler en raison de sa dureté.
Aux Xe et XIe siècles, on a également produit des objets en pâte argilo-siliceuse, lors d'essais pour obtenir de la pâte siliceuse.
[modifier] Étapes du travail
[modifier] La mise en forme
La mise en forme d'un pièce peut se faire de trois manières : par modelage, au tour de potier ou au moule. La combinaison de ces techniques est fréquente : ainsi, les objets sont souvent moulés en plusieurs parties, auxquelles on ajoute des éléments tournés (pieds, par exemple) et modelés (anses, etc.). L'assemblage de ces éléments se fait grâce à de la barbotine, de l'argile si diluée qu'elle en devient liquide.
[modifier] Décor
Il existe de nombreuses techniques de décor, auxquelles nous nous intéresserons un peu plus loin. Elles utilisent plusieurs éléments, comme des engobes — une argile diluée, pouvant être colorée, qui couvre tout ou partie de la pièce pour offrir un fond uniforme — et des glaçures, c'est-à-dire du verre, composé de silice et de fondants comme la soude et la potasse (glaçures alcalines) ou le plomb (glaçures plombifères) et recouvrant la pièce en lui donnant de la brillance. Les glaçures peuvent être colorées ou non, transparentes ou opaques, et sont appliquées au pinceau ou en plongeant les objets dans un bain de glaçure liquide.
Pour créer des couleurs, différents oxydes métalliques sont utilisés :
- le cobalt pour le bleu ;
- le manganèse pour le noir et le brun ;
- le fer pour le rouge ;
- le plomb pour le blanc ;
- le cuivre pour le vert et le turquoise ;
- l'antimoine pour le jaune.
[modifier] Cuisson
La cuisson est peut-être la partie la plus délicate de la confection d'une céramique, car c'est d'elle que dépend la réussite ou non d'une pièce. Elle s'effectue dans des fours dont le type varie beaucoup en fonction des régions. La température est déterminée par les techniques employées (pâtes, décor).
Les pièces sont en général entassées dans un four, mais pour éviter qu'elles ne se touchent et ne restent colées par les glaçures, on place entre elle des pernettes en argile. Ces pernettes sont en forme d'étoiles à trois branches.
[modifier] Approche chronologique
Dans cette partie, nous chercherons à présenter chronologiquement les principales innovations apparues dans la céramique islamique. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que les méthodes plus anciennes ne s'arrêtent pas brusquement lorsqu'une nouvelle apparaît, et qu'on peut donc trouver des céramiques très « primitives » même sous les dernières dynasties.
[modifier] VIIIe siècle
Les Omeyyades utilisaient principalement des pâtes argileuses et les techniques déjà mises au point aux périodes précédentes par les Parthes, les Sassanides et les Byzantins. Les céramiques pouvaient donc être soit non glaçurées, mais moulées par exemple, comme dans le cas d'un petit bol et de son présentoir exposés au musée du Louvre, soit couvertes d'une glaçure monochrome.
[modifier] IXe et Xe siècles
Deux révolutions ont lieu sous le règne des Abbassides : l'invention de la faïence et celle du lustre métallique.
La faïence en terre d'Islam n'est pas l'équivalent de la faïence européenne. Il s'agit ici d'une céramique en pâte argileuse recouverte d'une glaçure rendue opaque par l'ajout d'agents opacifiants tels que l'étain. Cette technique permet la mise en place d'un décor, peint sur la glaçure, grâce à l'utilisation de différents oxydes. La première couleur utilisée est le bleu de cobalt, qui permet d'imiter des porcelaines chinoises, importées en grand nombre dans le monde islamique à cette période. Peu à peu, d'autres couleurs apparaissent, comme le vert de cuivre, le brun de manganèse ou le jaune d'antimoine.
La céramique jaspée, ou splashware, est une variante de cette technique que l'on trouve à la fin du IXe et au Xe siècle, toujours sous l'influence des céramiques chinoises : il s'agit en fait de glaçures de différentes couleurs (brun, blanc et vert, par exemple) que l'on fait couler sur une pâte argileuse nue.
Le lustre métallique est une invention extrêmement importante, car ce décor restera spécifique à l'art islamique jusqu'au XIVe siècle. Il s'agit d'une technique extrêmement complexe : une pièce de faïence (pâte argileuse + glaçure opacifiée, blanche le plus souvent) est cuite une première fois à 900–950° C. Ensuite, on y dépose des oxydes d'argent et de cuivre, mélangés à de l'argile rouge et à de l'acide, et l'on repasse au four (700–750° C). Le potier doit alors jouer sur les cuissons, en permettant puis stoppant l'arrivée d'oxygène dans le four. Par un phénomène de réduction, les oxydes deviennent du métal qui a pénétré dans la matière vitreuse de la glaçure. La couleur varie du jaune doré au brun via le rouge suivant les proportions initiales d'oxydes d'argent et de cuivre. Au IXe siècle, le lustre était polychrome, mais il est devenu monochrome à partir du Xe siècle, et le restera désormais.
[modifier] Xe - XIIIe siècles
Ces siècles marquent l'apparition et le développement des décors d'engobe, en Iran principalement, mais également dans le reste du monde islamique. Plusieurs techniques sont utilisées, comme le sgraffito (gravure de motifs dans l'engobe), le champlevé (suppression de plages d'engobes pour laisser apparaître la couleur de la pâte) ou l'engobe sur engobe sous glaçure. Les potiers essaient le plus souvent d'imiter la faïence, et combinent parfois un décor champlévé ou esgraffié avec des coulures de glaçures colorées, comme sur l'aiguière à tête animale proposée en exemple. Cependant, sur ces céramiques provenant de la région de Garrus, en Iran, ce n'est pas la pâte qui est dévoilée, mais une seconde couche d'engobe noir situé sous l'engobe blanc.
Mais le XIe siècle est également le cadre d'une nouvelle révolution, avec l'apparition de la pâte siliceuse. Ce type de pâte semble avoir été découvert, ou plutôt redécouvert, car il existait dans l'Antiquité (Égypte, Mésopotamie), en Égypte fatimide (selon Scanlon) ou en Iran saljukide. Il reste toutefois réservé à de grands centres de production, pour des céramiques très luxueuses. La naissance de cette pâte résulta sans doute d'une recherche pour imiter les porcelaines chinoises, bien qu'il n'existât pas de kaolin dans le monde islamique, et aboutit à cette matière blanche, fine et très dure.
Les techniques de décor des céramiques en pâte siliceuse sont nombreuses. En général, on utilise une glaçure transparente, pour mettre en valeur la couleur de la pâte, et les pièces sont moulées plutôt que tournées, en raison de la dureté du matériau. La pièce peut également comporter de petits trous (décor dit « en grains de riz »), ou une inscription gravée. Lorsque le décor est à peine visible, on parle de « décor secret ».
Le minaï (« miniature » en persan), ou haftrang (« sept couleurs » dans la même langue), utilise la technique du décor de petit feu. Il s'agit d'une production spécifique à l'Iran saljukide : les premières pièces datées mentionnent les années 1180 et les dernières, 1210–1220. Le principal centre de production est alors Kashan, mais Rayy pouvait également produire ce type d'œuvres, extrêmement coûteux car compliqué à réaliser. La pièce en pâte siliceuse est tout d'abord cuite une première fois avec de la glaçure, à haute température, puis les couleurs sont posées. Il existe sept couleurs de base : le rouge, le blanc et le noir sont stables, tout comme l'or, dont la température de fusion se situe vers 1063° C ; par contre, le vert, le brun et le bleu sont instables, et peuvent subir quantité de nuances. Une deuxième cuisson a alors lieu vers 600° C, en atmosphère oxydante (l'oxygène peut entrer dans le four), chaque pièce devant être isolée dans un caisson ; c'est à ce moment que le potier peut tenter de nuancer ses teintes, en jouant sur les températures. Une température trop élevée ou trop basse peut cependant être fatale à la fournée.
Dans un suprême raffinement, il arrive que les techniques du lustre et du haftrang soient combinées, engendrant au moins trois cuissons : une pour la pâte et la glaçure, ainsi qu'éventuellement les couleurs stables, une pour le lustre, avec le changement d'atmosphère (oxydante et réductrice) et une pour les couleurs.
Le haftrang se distingue aussi par son décor qui reprend sans doute les peintures contemporaines (bien qu'aucun manuscrit ne puisse confirmer cette hypothèse), avec des scènes figuratives parfois très développées et qui peuvent faire appel à la littérature, comme pour la coupe avec Bahram Gur et Azadeh conservée au Metropolitan Museum of Art, qui fait référence au Shâh Nâmâ de Ferdowsi ou au Khamsa de Nizami.
La production très peu abondante de haftrang s'interrompt brusquement avec les invasions mongoles. La technique du petit feu, quant à elle, perdure avec le lajvardina.
Il faut noter enfin la naissance, en Syrie, d'une nouvelle forme de décor : le peint sous glaçure transparente, qui utilise moins de couleurs (bleu cobalt, noir, puis un peu plus tard rouge de fer, qui vire souvent au vert kaki), mais permet de réaliser la pièce en une seule cuisson, et diminue d'autant les risques qui y sont liés. La pâte utilisée peut être argileuse ou siliceuse, notamment en Anatolie Saljukide.
[modifier] XIVe - XVIe siècles
Le lajvardina est la perpétuation des techniques de petit feu chez les Mongols. Le terme signifie « lapis-lazuli » en persan, ce qui se justifie par l'emploi fréquent d'une glaçure de fond d'un bleu très soutenu. Cette technique est longuement décrite dans le traité d'Abu’l Qasim mais ne fut employée qu'à la fin du XIIIe et au XIVe siècle (dernier jalon : 1374–1375), dans le centre de Kashan notamment (seul centre certain). Les couleurs utilisées sont moins nombreuses que dans le haftrang : bleu, blanc, rouge et or seulement, mais également posées sur la glaçure et cuites à basse température dans une seconde cuisson. L'or peut également être posé à froid.
Des nouveautés dans le lustre apparaissent aussi chez les mongols, avec l'emploi de réhauts de cobalt et/ou de turquoise, et l'apparition de carreaux à la fois moulés et lustrés. Le lustre est d'ailleurs extrêmement utilisé dans le décor architectural, tandis que les céramique de forme sont souvent de type sultanabad, avec un décor à l'engobe sur engobe sous glaçure.
Le XIVe siècle voit aussi éclore, plus à l'ouest, la technique de la cuerda seca. Cette expression signifie « corde sèche » en espagnol, car les potiers séparaient les couleurs grâce à une sorte de cloison en matière noire (huile ou cire avec du manganèse) posée à l'aide d'une corde. À la cuisson, cette matière brûle, ne laissant qu'une trace noire. Cette technique, utilisée dans le Çimili Kiösk à Istanbul, est également très présente dans les décors architecturaux safavides.
La mosaïque de céramique fut inventée semble t-il un peu avant le XIVe siècle, puisqu'on en trouve chez les Saljukides de Rum ; cependant, c'est sous les Timurides au XVe siècle qu'elle connut son heure de gloire. Pour réaliser une mosaïque de céramique, les potiers découpaient dans des carreaux glaçurés de différentes couleurs des formes qu'ils assemblaient ensuite dans un mortier. La céramique sculptée est également parfois utilisée sous les Timurides, dans des colonnes ou des mihrabs par exemple.
[modifier] Période des trois empires
Alors que les empires safavide et moghol voient l'art de la terre cuite décliner, chez les Ottomans apparaît la céramique d'Iznik. Celle-ci comporte plusieurs particularités : sa pâte est siliceuse, mais du plomb y est ajouté afin de baisser la température de cuisson et d'économiser ainsi des matériaux de combustion. De plus, les céramiques sont recouvertes avec un engobe de même composition que la pâte : il s'agit donc du premier engobe siliceux. Le décor est ensuite peint sous glaçure incolore, et la pièce est cuite en une seule fois. Les couleurs utilisées sont tout d'abord le bleu, puis le turquoise, le vert, le rose, le gris, le noir, le pourpre et le brun apparaissent. Mais c'est le rouge tomate, réalisé avec de l'oxyde de fer, qui va faire la réputation des céramiques d'Iznik.
[modifier] Conclusion
Ainsi, à travers les siècles et les cultures, la popularité de l’art de la céramique n'a cessé de s'affirmer en terre d’Islam. Les plus belles œuvres qui nous sont parvenues élèvent indéniablement cet art au-dessus d’un simple artisanat bien que la poterie ait toujours conservé un rôle utilitaire chez les classes laborieuses. La diversité et le raffinement des techniques ont permis la création de pièces variées et parfois magnifiques, certaines constituant de véritables chefs-d'œuvre de l'art islamique.
[modifier] Voir aussi
[modifier] Article connexe
[modifier] Bibliographie
- (en) A.M. Kleber-Bernsted, Early Islamic Pottery ; Materiels and Techniques, Londres, 2003 ;
- Arthur Lane :
- (en) Early Islamic Pottery: Mesopotamia, Egypt and Persia, Faber and Faber, Londres, 1947,
- (en) Later Islamic Pottery: Persia, Syria, Egypt, Turkey, Faber et Faber, Londres, 1971 ;
- Jean Soustiel, La céramique islamique, Office du livre (Fribourg) et Dilo (Paris), coll. « Le Guide du connaisseur », 1985 (ISBN 2-7191-0213-X).
- Voir aussi : Bibliographie détaillée concernant l'art islamique.
[modifier] Liens externes
- (en) Cours sur la céramique islamique par l'Ashmolean Museum.
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