L'Âge de fer
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Roman de John Maxwell Coetzee paru en 1990.
L'âge de fer est encore le nôtre. L'abomination envahit la terre. La pudeur, la vérité, l'honneur, s'enfuient. Les fourberies, les ruses, les embûches, la violence et le criminel amour de posséder du bien viennent prendre leur place.
On voit des matelots mettre des voiles aux vents, à ces vents qu'ils connaissent mal. Les pins, qui pendant longtemps se sont dressés sur les hautes montagnes, bondirent carènes toutes neuves sur des flots inconnus. Le sol, qui jusqu'alors est un bien commun comme la lumière du soleil et l'air, est divisé, mesuré, borné par de minutieux et mesquins arpenteurs. Non seulement on exige de la terre des récoltes, mais encore on creuse les entrailles terrestres, pour mettre au jour ses trésors, sources de tous nos maux. La terre a enfoui et caché les trésors dans un sous-sol voisin des profondeurs du Styx. Bientôt le fer nocif, l'or plus nocif encore, sont extraits. La guerre apparaît, qui pour se déchaîner use de l'or et du fer, et qui déesse terrible, brandit de sa main sanglante des armes qui s'entrechoquent. Siècles calamiteux ! On voit des rapines. L'hôte n'est plus en sûreté chez son hôte, ni le gendre auprès de son beau-père. Même entre frères la concorde est rare. Le mari médite la mort de sa femme et la femme celle de son mari. D'horribles marâtres préparent des breuvages d'aconit verdâtre. Le fils s'enquiert prématurément des années qui restent à vivre de son père. La piété filiale gît, vaincue. Les dieux quittent la terre, trempée de sang, où les meurtres succèdent à la douceur de vivre. On dit que la déesse de la Justice est la dernière des puissances célestes à demeurer dans le Latium. Quand elle s'aperçoit qu'on ne peut rien attendre de l'équité humaine et que le crime triomphe, elle remonte un jour au ciel. Lasse et désespérée, elle devient la constellation qui porte le nom d'Astée ou de la Vierge. Et l'âge d'or aujourd'hui n'est plus qu'un grand souvenir, que célèbrent les poètes, consolateurs des hommes.