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École de Chicago (sociologie) - Wikipédia

École de Chicago (sociologie)

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Voir aussi l’article homonyme : école de Chicago 

L'école de Chicago est un courant de pensée sociologique états-unien. Il est apparu au début du XXe siècle dans le département de sociologie de l'université de Chicago. Ce département créé en 1892 est par ailleurs le premier département de sociologie au monde.

Sommaire

[modifier] La première École de Chicago

La première école s'attachait à étudier les relations interethniques et la délinquance dans les grandes villes aux États-Unis. Celles-ci apparaissent alors comme une sorte de laboratoire social qui permet d'étudier les nombreuses transformations des milieux urbains. Chicago accueille de nombreux immigrants de l'étranger ainsi que du sud des États-Unis. Les représentants de cette première école sont notamment William I. Thomas et Robert E. Park.

[modifier] La seconde (et troisième) École de Chicago

Après les années 1940, arrive une deuxième génération de chercheurs. Ils se consacrent plus à l'étude des institutions et des milieux professionnels. Bien que ces sociologues aient utilisé de nombreuses méthodes quantitatives et qualitatives, historiques et biographiques, ils sont reconnus pour avoir introduit, en sociologie, une nouvelle méthode d'investigation, largement inspirée des méthodes ethnologiques, qu'est l'observation participante. Celle-ci leur permet alors de comprendre le sens que les acteurs sociaux donnent aux situations qu'ils vivent. Les principaux représentant de cette seconde école sont notamment Erving Goffman, Howard Becker, Anselm Strauss et Freidson. Everett Hughes apparaît lui comme un maillon intermédiaire entre ces deux écoles.

[modifier] Contributions de l'École de Chicago

La sociologie de l'École de Chicago a été fertile, elle a fortement contribué à l'étude des villes (sociologie urbaine, urbanisme et études sur les migrations), à l'étude de la déviance (criminologie), à l'étude du travail (et des métiers) ainsi que de la culture et de l'art.

[modifier] l’école de Chicago se caractérise par sa sociologie urbaine avec ses thèmes de prédilection.

La ville de Chicago a connu une urbanisation extrêmement rapide qui s’opérait de fond de déracinements multiples, d’extrême hétérogénéité sociale et culturelle, de déstabilisation permanente des activités, des statuts sociaux et des mentalités. Chicago devint aussi le lieu emblématique de la confrontation des origines et des cultures, ainsi que le symbole même de la délinquance et de la criminalité organisée. Pour les sociologues de son université, elle représentait un terrain d’observation privilégié ou, mieux encore, pour reprendre le mot de Park, un véritable « laboratoire social ».

A. Dès les débuts de l’université, les sociologues de Chicago ont un regard intéressé et positif sur l’immigration.

1. Thomas et Znaniecki repensent l’immigration à travers la théorie de l’organisation et de la désorganisation.

Thomas et Znaniecki ont fortement contribué à rejeter le réductionnisme biologique en montrant que le comportement des immigrants n’était pas lié à un problème de race, c'est-à-dire à un problème physiologique, mais était directement lié aux problèmes sociaux intervenus dans leur vie quotidienne. Ils affirment ainsi : «  la variable réelle est l’individu, pas la race ». Leur objectif est de comprendre le comportement humain, ce qui se démarque complètement des travailleurs sociaux, appelé aussi « do-gooders », qui travaillaient alors sur ces questions à des fins moralistes. Cela va projeter la sociologie de l’école de Chicago dans une ère nouvelle, moderne.

a) The polish peasant in Europe and America

The polish peasant in Europe and America a été publié en 1918. Thomas décide de faire une étude sur l’immigration et l’intégration en suivant un groupe d’immigrants en étudiant leur vie dans leur pays d’origine jusqu’à leur arrivée sur le sol américain. Il choisit de prendre le peuple Polonais, à cause de la grande richesse de documents existants à leur propos.

L’ouvrage est composé de quatre parties distinctes : • L’organisation du groupe primaire : étude de la famille polonaise traditionnelle avec ses habitudes sociales. Ils entendent par organisation, l’ensemble des conventions, attitudes et valeurs collectives qui l’emportent sur les intérêts individuels d’un groupe social.

• La désorganisation et la réorganisation en Pologne : l’individu n’est plus fondu au sein d’une famille élargie : il prend de plus en plus d’importance pour lui-même et la famille se rétrécie approchant ainsi le modèle de famille moderne contemporaine. déclin de l’influence des règles sociales sur les individus, valorisation des pratiques individuelles. Il y a désorganisation quand les attitudes individuelles ne peuvent trouver satisfaction dans les institutions, jugées périmées, du groupe primaire. La désorganisation sociale est la conséquence d’un changement rapide (changements technologiques majeurs, catastrophes naturelles, crises économiques ou politiques), d’une densification de la population urbaine ou d’une désertification.

• L’organisation et la désorganisation en Amérique : Alors que le mariage reposait traditionnellement sur le respect en Pologne, avant la désorganisation, le mariage repose désormais sur l’amour au États-Unis.

• L’histoire de vie d’un immigrant. : Wladeck

b) L’intégration et l’assimilation vues par Thomas.

- La distinction entre désorganisation individuelle et sociale.

Toutes les manifestations de la déviance ne sont pas toujours le signe d’une désorganisation sociale : il peut aussi s’agir de déviance individuelle. Thomas et Znaniecki distinguent la désorganisation individuelle (aussi appelé démoralisation) et la désorganisation sociale. Selon Thomas, il n’y a pas de lien direct entre les deux. La pathologie individuelle n’est pas un indicateur de désorganisation sociale. S’il y a un processus de réorganisation sociale, un individu peut demeurer inadapté, en retrait de ce phénomène social collectif. C’est vrai surtout des individus de la seconde génération qui se trouvent touchés par la délinquance, l’alcoolisme, le vagabondage, et le crime. Si ce processus de réorganisation est difficilement suivi par l’individu c’est parce qu’il exige de se défaire des liens anciens pour en inventer de nouveaux.

- L’adaptation n’est pas un simple mimétisme mais un métissage actif.

La réorganisation prend une forme mixte et passe par la constitution d’une société américano-polonaise, c'est-à-dire qui ne soit ni tout à fait polonaise, ni tout à fait américaine, mais qui constitue la promesse d’une assimilation des générations futures. C’est pourquoi il faut favoriser les formes sociales mixtes et provisoires, encourager les institutions qui nouent un lien de continuité avec le passé : associations, fêtes, scolarisation bilingue… Thomas insistait pour que les immigrants continuent de lire et parler dans leur langue pour favoriser la transition vers l’assimilation.

Thomas considère que l’assimilation est à la fois souhaitable et inévitable. Elle requiert la construction d’une mémoire commune entre le natif et le migrant passant par l’apprentissage d’une nouvelle langue, d’une nouvelle culture et histoire à l’école publique. Il recommande aussi que les Américains se familiarisent avec les cultures des pays dont ils accueillent les ressortissants. Pour Thomas l’assimilation est surtout un processus psychologique. Il néglige l’aspect politique de la question et les conditions de vie économique de l’immigrant. L’assimilation sera accomplie quand l’immigrant portera le même intérêt aux mêmes objets que l’Américain d’origine.


On retrouve beaucoup la notion de désorganisation dans le patrimoine de l’Ecole de Chicago. C’est un concept majeur dans l’étude de la grande ville américaine et qui implique de nombreux changements sociaux. On le retrouve chez : Nels Anderson (1923) sur les travailleurs saisonniers, Frederic Thrasher (1927) sur les gangs, Harvey Zorbaugh (1929), Paul G. Cressey (1929) dancings publics. Et aussi Ruth Cavan (1928) sur le suicide, Ernest Mowrer (1927) désorganisation de la famille, Louis Wirth (1926) sur le ghetto, Walter Reckless (1925).

2. L’école de Chicago, dans son ensemble, a développé une vision optimiste de l’immigration.

a) le cycle des relations ethniques chez Park : une vision positive de l’immigration par l’assimilation

En 1921, en décrivant le procèsus de désorganisation - réorganisation qui jalonne les interactions entre les groupes sociaux autochtones et immigrants, distingue quatre étapes, chacune représentant un progrès par rapport à la précédente :

- La rivalité est la forme d’interaction la plus élémentaire, elle est universelle et fondamentale. Elle se caractérise par l’absence de contact social entre les individus. Cette étape va entraîner une nouvelle division du travail et réduire les relations sociales à une coexistence basée sur les rapports économiques. - La deuxième étape est le conflit : qui est inévitable lorsqu’on met en présence des populations différentes. Le conflit manifeste une prise de conscience, par les individus, de la rivalité à laquelle ils sont soumis. « D’une façon générale, on peut dire que la rivalité détermine la position d’un individu dans la communauté ; le conflit lui assigne une place dans la société. » - La troisième étape est l’adaptation, Park le définit comme pouvant « être considérée telle une conversion religieuse, comme une sorte de mutation ». L’adaptation est un phénomène social, qui concerne la culture en général, les habitudes sociales et la technique, véhiculées par un groupe. Pendant cette phase, il y a coexistence entre des groupes qui demeurent des rivaux potentiels mais qui acceptent leurs différences. - L’étape ultime après l’adaptation est selon Park l’assimilation, au cours de laquelle les différences entre les groupes se sont estompées et leurs valeurs respectives mélangées. L’assimilation est un phénomène de groupe, dans lequel les organisations de défense de la culture immigrée par exemple, ou les journaux en langues étrangères vont jouer un rôle déterminant.

Park rejette l’hypothèse communément admise à l’époque selon laquelle l’unité nationale exige une homogénéité ethnique. Tout comme Thomas, il donne une grande place à l’école dans les étapes menant à l’assimilation. (P41) Chez Young, qui s’intéresse à l’intégration des Molokans, (paysans russes faisant partie d’une secte religieuse persécutés par le Tsar) voit 3 phases menant à des hybrides culturels. Il montre ainsi que le sacré s’institutionnalise et qu’il devient profane au fur et à mesure que la vie communautaire se désintègre et que commence le processus d’assimilation culturelle.

b) Une thèse vue parfois comme utopiste

Dans son ensemble, l’Ecole de Chicago a développé une vision optimiste de l’immigration, sous la forme du concept de l’homme marginal, qui devient un hybride culturel, partageant intimement deux cultures distinctes, mais pleinement accepté dans aucune et marginalisé par les deux. Le métissage est, pour les chercheurs de Chicago, un enrichissement. Pourtant, quelques chercheurs noirs, faisant partie de la commission mixte chargée d’étudier les causes des émeutes de Juillet - Août 1919 ayant fait 38 morts, font figure d’exceptions. Johnson, reprend le cycle des relations ethniques de Park pour décrire les relations entre la population noire et blanche de Chicago. Il s’aligne sur les recommandations de Park concernant l’école mais amène des nuances. Il affirme ainsi que les enfants noirs ont des performances plus mauvaises que les enfants blancs à l’école du fait de leur environnement : parents illettrés, famille instable, mal logée, sans emploi. Il insiste surtout sur l’absence totale de loisirs positifs. Il démontre aussi que les noirs américains souffraient encore d’une ségrégation informelle. (Accusés de commencer les grèves dans les usines par exemple.) Brown, s’inspirant lui aussi des étapes de Park, remet en cause que le conflit ne soit qu’une étape menant à l’assimilation. Pour lui l’assimilation n’est jamais totalement possible entre la population noire et blanche car la culture noire est perçue comme inférieure à la culture blanche. Frazier, se démarque à son tour des sociologues de Chicago, notamment en ne rejetant pas tout à fait le réductionnisme biologique. Il distingue ainsi une institution blanche et une institution noire. De plus il considère que le fait d’être noir représente une identité à part entière : « les noirs américains pensent d’abord à eux même comme noirs et seulement ensuite comme américain. » S’il reconnaît le bien-fondé de l’importance de l’homme marginal en tant que hybride culturel, Frazier introduit en revanche la distinction entre l’assimilation culturelle et l’assimilation sociale. Ainsi, selon lui, la culture noire américaine ne diffère peut être pas beaucoup de la culture blanche mais de nombreuses barrières sociales à l’assimilation demeurent : interdiction des mariages interraciaux, ils n’ont pas le droit de vote… Ainsi, l’assimilation totale ne peut donc pas être atteinte puisqu’ils n’ont pas les mêmes droits politiques et sociaux. Leur assimilation passera donc par leur lutte contre la discrimination raciale et pour l’égalité de leurs droits.


B. L’étude de la criminalité illustre bien l’écologie urbaine de l’école de Chicago.

La sociologie de Chicago est légitimement célèbre pour ses études sur la criminalité, la déviance et la délinquance juvénile, qui sont des questions liées étroitement aux notions et concepts que nous venons de voir et qui constituent à elles seules un champ dont nous allons maintenant examiner quelques unes des œuvres principales.

1. La criminalité

a. L’étude des gangs de Chicago par Frederic Thrasher.

Selon les estimations de Thrasher, les gangs de Chicago en 1927 représenteraient 25.000 adolescents et jeunes hommes. Cette population se regroupe dans la zone interstitielle, c'est-à-dire la zone comprise entre le centre ville (the loop) avec tous ses bureaux et commerces et la zone résidentielle des classes moyennes puis aisées. Il affirme ainsi que les gangs occupent « la ceinture de pauvreté », là où l’habitat est détérioré, où la population change sans cesse ; ou tout est désorganisé. Le gang est alors une réponse à la désorganisation sociale. Les créations des gangs se font par la création de clubs regroupant des jeunes hommes qui vont ensuite devenir des délinquants et occuper une partie du territoire qu’ils vont s’approprier. Ces groupes sont très instables : leurs leaders changent, de nouveaux groupes apparaissent et disparaissent. Il y a plusieurs types de gangs : un gang peut chercher à se faire reconnaître une existence légitime au sein de la communauté, à la manière d’un club, ou au contraire de former une société secrète. Enfin, Thrasher insiste sur une autre caractéristique du gang. Il est selon lui la manifestation de conflits culturels entre les communautés d’immigrants entre elles d’une part, et entre les valeurs d’une société américaine peu attentive à leurs problèmes et qui leur reste étrangère, d’autre part. Traiter le problème de la criminalité consistera donc à construire, dans un monde moral et économique, un avenir et une motivation au délinquant, à stimuler son imagination d’adolescent et à faire naître chez lui des ambitions.

b. L’étude du crime organisé vu par John Landesco

En 1924, la guerre des gangs fait rage à Chicago et l’Illinois Association for Criminal Justice décide de lancer une vaste enquête sur la criminalité. John Landesco publie un rapport en 1929, Organized crime in Chicago, dans lequel il veut démontrer qu’il existe un lien entre le crime et l’organisation sociale de la ville. Selon lui, « de la même manière que le bon citoyen, le gangster est un produit de son environnement. Le bon citoyen a été élevé dans une atmosphère de respect et d’obéissance à la loi. Le gangster a fréquenté un quartier où la loi est au contraire enfreinte constamment ».

2. la délinquance juvénile.

a. La délinquance doit être considérée en relation à son contexte dans l’histoire de vie d’un individu.

Dans The Jack roller : a delinquent boy’s own story, Clifford Shaw étudie la situation d’un jeune délinquant qu’il suit depuis qu’il a 16 ans. L’histoire de vie est un nouveau dispositif de recherche dans le domaine de la criminologie. Shaw insiste pour que les histoires de vie soient vérifiées, croisées avec d’autres données, familiales, historiques, médicales, psychologiques, scolaires bien que « la validité et la valeur d’un document personnel ne dépende pas de son objectivité ou de sa véracité », ce qui importe n’est pas la description objective mais précisément les attitudes personnelles. Il faut entrer dans le monde social du délinquant. C’est pourquoi le récit doit être à la 1ère personne, ne soit pas « traduit » par le langage du chercheur pour garder l’‘objectivité’ du récit.

Dans la discussion de l’ouvrage, Burgess explique en quoi le cas lui apparaît typique et représentatif : - élevé dans un quartier à risque, délinquance importante (1926, 85% jeunes arrêtés par police viennent de ces quartiers) - vient d’une « famille brisée » comme 36% des jeunes délinquants - sa « carrière » de délinquant commence avant même qu’il aille à l’école - toutes les institutions ‘de redressement’ ont échoué (idem dans 70% des cas) - fini par traîner comme fugueur dans le quartier mal fréquenté de Chicago.

b. La délinquance juvénile et le tissu urbain.

Shaw et Mac Kay, écrivent, Juvenile Delinquency and Urban Areas en 1942 où ils proposent d’établir une “écologie de la délinquance et du crime”: Ils étendent la recherche à d’autres grandes villes (Philadelphie, Boston, Cleveland, Cincinnati, Richmond). Shaw et Mac Kay montrent que le développement des villes américaines s’est manifesté par la création de zones d’habitat très différenciées. La criminalité est associée à la structure physique de la ville : le taux de délinquance est élevé partout où l’ordre social est désorganisé. Le fait d’habiter certaines parties de la ville est un indicateur ou pronostic de délinquance. Ils affirment qu’il n’y a pas de relation de cause à effet entre un fort taux d’immigrés et un fort taux de criminalité: « les délinquants ne le sont pas parce qu’ils sont fils d’immigrés ou parce qu’ils sont noirs, mais pour d’autres raisons qui tiennent à la situation dans laquelle ils vivent ». Pour comprendre et analyser les phénomènes de délinquance et de criminalité, il faut prendre en compte 3 types de facteurs : le statut économique, la mobilité de la population et l’hétérogénéité de sa composition, qui se manifeste par une forte proportion d’immigrants. La pauvreté, une forte hétérogénéité et une forte mobilité de la population entraînent l’inefficacité des structures communautaires, ce qui entraîne un affaiblissement du contrôle social, favorisant l’apparition de la criminalité.

[modifier] III. L’école de Chicago et sa sociologie qualitative (une épistémologie « compréhensive »)

Morris Janowitz, dans son ouvrage consacré à l’œuvre de Thomas, affirmait que « s’il a existé une école de Chicago, elle a été caractérisée par une approche empirique qui se propose d’étudier la société dans son ensemble ». Cette conception de la recherche va évidemment induire des techniques particulières de recherche sur le terrain, qui seront regroupés sous l’expression de « sociologie qualitative ». Il faut, en premier lieu, préciser qu’il y a eu peu de réflexions méthodologiques dans la plupart des monographies de l’Ecole de Chicago. C’est surtout Park, qui a été journaliste de 1891à 1898 qui a introduit l’idée de pouvoir utiliser les méthodes de l’ethnographie pour l’étude des rapports sociaux urbains.

A. L’utilisation des documents personnels est une des caractéristiques principales de l’école de Chicago.

1. Thomas et Znaniecki, pionniers de la sociologie comme « une forme de journalisme supérieur »

La première utilisation de documents personnels dans une étude sociologique fut celle de Thomas et Znaniecki, dans Le paysan polonais. Sur le plan méthodologique, il y a rupture avec les traditions antérieures : on passe pour la 1ère fois de façon « officielle » de la sociologie en bibliothèque à la recherche sur le terrain. Ce n’est pas un hasard si cet ouvrage ouvre l’époque de ce que l’on désigne l’Ecole de Chicago.

Pour Blumer (1939), chargé par le Social Science Research Council de faire un compte rendu critique de l’ouvrage, cette recherche n’est pas une simple monographie de la société paysanne polonaise mais un manifeste scientifique à 4 visées :  construire une approche adaptée à la vie sociale complexe moderne  adopter une démarche compatible avec le changement et l’interaction  distinguer facteurs subjectifs et leurs interactions avec les facteurs objectifs  disposer d’un cadre théorique pour étudier la vie sociale C’est dans ces divers objectifs que cette étude inaugure l’utilisation de nouveaux matériaux : les autobiographies, les courriers personnels, les journaux intimes, les récits ou histoires de vie, les témoignages.

a. prendre le point de vue subjectif des individus pour atteindre une objectivité plus scientifique.

Appliquant un des principes de l’interactionnisme, Thomas et Znaniecki décident de prendre en compte le point de vue subjectif des individus tout en produisant une sociologie scientifique, capable de distinguer et de construire théoriquement des types sociaux. Thomas veut adopter une démarche détachée, non émotionnelle, scientifique, objective des phénomènes sociaux qu’il étudie. Utilisation de lettres et d’histoires de vie dans le but d’« objectiver » les conditions de vie et les attitudes des personnes observées, en les étudiant en fonction de la « définition de la situation » auxquelles elles correspondent. Exemple : comportement incompréhensible des polonais aux USA : tantôt ils acceptent passivement l’autorité, tantôt ils considèrent que la liberté offerte par les USA doit être sans limite. Pour comprendre ces comportements au premier abord incompréhensibles il faut pouvoir connaître la signification subjective que les personnes apportent à la situation. Ainsi le changement social sera compris comme le résultat d’une interaction permanente entre la conscience individuelle et la réalité sociale objective.

b. une multitude de sources documentaires

C’est un aspect mal connu de l’Ecole de Chicago que d’avoir été une sociologie fondée sur des sources documentaires. Park constitue un véritable fonds documentaire sur la ville. Véritable banque de données élaborée, augmentée, mise à jour qui sera utilisée par tous les étudiants voulant travailler sur la ville

Les lettres : Innovation méthodologique. Annonce passée dans les journaux polonais en Amérique pour lire les lettres reçues de Pologne (10 cents par lettre lue). Beaucoup publiées (regroupées en 50 thèmes différents). Chaque thème = introduction théorique et commentaires disséminées dans les notes.

L’histoire de vie : Technique qui permet de pénétrer et de comprendre de l’intérieur le monde des acteurs. Wladeck Wisniewski (recruté par annonce), considéré comme représentatif de l’immigré polonais d’origine paysanne, écrit son autobiographie dont la véracité fut vérifiée grâce aux lettres échangées avec sa famille restée en Pologne.

Comme dans la plupart des recherches de l’Ecole de Chicago, combinaison de l’utilisation de documents personnels avec d’autres méthodes de recueil des données, sources documentaires plus classiques au regard de l’histoire et du journalisme d’enquête : quotidiens, archives des églises, des institutions du travail social, minutes des procès.

L’innovation de Thomas et Znaniecki, en matière méthodologique, s’arrête là : pas d’utilisation d’interviews ou d’observation. En accord avec sa conception « naturaliste » de la sociologique, Thomas considérait que l’interview était une manipulation de l’interroger par l’enquêteur, cependant, notons qu’il acceptait de recueillir les témoignages d’informateurs comme les travailleurs sociaux.

2. Les émules de la démarche initiée par Thomas

a. Sutherland et le voleur professionnel :

Il utilise le principe de l’interactionnisme, c'est-à-dire qu’on comprend ce que font les individus en accédant de l’intérieur à leur monde particulier et il s’agit d’abord de décrire les mondes particuliers des individus dont on veut comprendre les pratiques. Sutherland semble avoir eu l’intuition de l’usage que l’on peut faire de la réflexivité dans l’analyse sociologique. Sutherland, en faisant décrire son enquêté transforme son informateur en assistant de recherche. Par la description qu’il fait de son monde, il devient un ethnographe réflexif du monde dans lequel il vit. On a devant nous pas seulement le sujet empirique tel qu’il se présente au lecteur mais aussi le sujet analytique, c'est-à-dire celui qui nous montre comment il analyse sa vie quotidienne afin de lui donner sens et afin de pouvoir prendre des décisions en fonction du contexte. Parce qu’il s’agit d’un témoignage Sutherland est conscient du danger scientifique si il veut fonder sa recherche sur ce seul matériau, donc il soumet le manuscrit à 4 voleurs professionnels et 2 anciens détective. Etudiant des voleurs, il ne peut donc évidemment pas participer à leurs actions. Vu que les thèmes majeurs de l’Ecole de Chicago sont l’immigration et la délinquance, l’observation participante peut parfois être difficile à faire.


b. Shaw et The Jack-Roller

Dans la préface de The Jack-Roller, Burgess compare la fonction de l’histoire de vie dans l’étude de la personnalité des individus avec celle du microscope dans les sciences naturelles. Les 2 techniques permettent de ne pas s’en tenir à la surface des phénomènes et de pénétrer leur réalité cachée. « Comme un microscope, l’histoire de vie permet d’étudier en détail l’interaction entre les processus mentaux et les relations sociales ». Conscient des problèmes de l’histoire de vie, il faut tester leur véracité par d’autres sources complémentaires. Burgess dit en effet qu’il se méfie de cette méthode tant qu’elle n’a pas été l’objet de minutieuses vérifications, notamment sur le plan de la représentativité des données recueillies.

B. Le travail de terrain est également à base de la recherche empirique caractéristique de l’Ecole de Chicago.

1. Le mythe de l’observation participante

a. Participer pour observer

Quand on fait référence à l’Ecole de Chicago on pense tout de suite à son innovation méthodologique qui s’approche le plus de la sociologie qualitative : l’observation participante. Il n’est pas étonnant qu’on retrouve chez les sociologues de Chicago la posture méthodologique d’obédience interactionniste qui prend en effet toujours appui sur diverses formes d’observation participante. Patricia et Peter Adler distinguent 3 grandes catégories de positions de recherche sur le terrain : - rôle « périphérique » : le chercheur est en contact étroit et prolongé avec les membres du groupe mais ne participe pas (soit en raison de croyances épistémologiques, soit parce que moralement il s’interdit de participer aux actions délinquantes, ou parce que ses propres caractéristiques démographiques ou socioculturelles l’en empêchent). - rôle « actif » : le chercheur prend un rôle plus central dans l’activité étudiée. Participation active, prend des responsabilités, se conduit avec les membres du groupe comme un collègue. - rôle de membre complètement « immergé » : le chercheur a le même statut, partage les mêmes vues et les mêmes sentiments, poursuit les mêmes buts. Fait l’expérience des émotions… b. l’observation participante est en réalité très peu utilisée.

Il est abusif d’employer le terme d’‘observation participante’ pour le simple fait d’aller sur le terrain. Park insistait pour que le scientifique observe mais ne participe pas, il recommandait une attitude détachée. Position qui peut paraître surprenante si on considère que l’Ecole de Chicago a été le modèle théorique et méthodologique de l’observation participante. Park réagissait ainsi en réaction au courant dominant précédant dans la sociologie naissante d’alors : l’enquête sociale Selon Park il fallait que la sociologie se professionnalise en se détachant de l’attitude dominante des « do-gooders ». Selon Lee Harvey, sur les 42 thèses soutenues en sociologie à Chicago (1915-1950), 2 seulement (après 1940) ont employé l’observation participante « complète » (rôle à temps plein dans la communauté étudiée), 6 ont impliqué le chercheur dans un temps partiel, les autres (2/3) n’ont pas utilisé la moindre technique d’observation. En fait, Ecole de Chicago = peu d’enquête directement sur le terrain, surtout matériau biographiques (récits d’individus). Il est sans doute souhaitable de rectifier le mythe selon lequel l’Ecole de Chicago serait le modèle de l’observation participante – même si caractère novateur incontestable sur le plan méthodologique. Ecole de Chicago = berceau d’une variété d’approches empiriques, en particulier dans la sociologie urbaine pratique, inaugure l’enquête directe auprès d’individus (différence avec l’ère spéculative de la sociologie du 19°).


 Thrasher : dans son enquête auprès de gangs a récolté des données qualitatives (enquête auprès des journalistes, policiers, barmen, hommes politiques locaux…) mais cela ne peut pas être considéré comme de une observation de première main, il n’a pas participé à la vie de la communauté.

 Dans l’étude des sans-abri, Nels Anderson, (1923) implique une forme d’observation participante : il occupe une chambre dans un petit hôtel ouvrier du quartier des hobos. Il n’y va que le week-end. Sinon, il a été vagabond, dormait dehors, voyageait clandestinement dans les mêmes trains… Pendant 15 ans, a eu une vie de hobos. Reçoit une aide privée pour étudier les « SDF », pas dépaysé par le quartier dans lequel il mène sa recherche. Familiarité. Il procède également à un travail classique de documentation qui lui permet de se pencher sur son passé. Interviews informelles. La recherche d’Anderson est représentative de celles de l’Ecole de Chicago : recherche sur un monde auquel il a simplement accès. Il n’a pas pris le rôle d’un hobo, il n’est pas lui-même un hobo mais c’est sa rencontre avec des hobos dans une institution de travail social dans laquelle il travaillait qui l’a poussé à cette recherche.


Au fondement de ce mythe de l’observation participante à Chicago réside peut-être une confusion dans les termes. On parle tantôt de sociologie qualitative, de sociologie descriptive, d’ethnographie. L’ethnographie est considérée comme un terme équivalent à l’approche naturaliste, qui chercherait à mettre en avant des significations (pas que recherches des causes). L’expression d’observation participante est souvent employée à la place « d’ethnographie ». Alors que l’entretien ou l’observation non participante relèvent de la sociologie qualitative. L’observation participante est un dispositif particulier de recherche au sein de l’ethnographie, mais elle implique que le chercheur joue un rôle pour comprendre de l’intérieur leur vision du monde et la rationalité de leurs actions. Progressivement l’observation participante en est venue à désigner un style de recherches qualitatives sur le terrain, et non une technique particulière.

2. Une méthodologie multiple.

a. L’utilisation de cartographie. (Nora) et autres… ???


Dans chaque étude, plusieurs méthodes sont employées. Entretiens non structurés et récits de vie dominent mais on trouve aussi des observations, des documents personnels, données recueillies… Zorbaugh : plans, cartes de ville, données recensement, documents historiques, rapports municipaux, travail social. Interviewe individus divers : contacts informels avec journalistes, avocats, infirmières. Sur le terrain il procède par bloc d’habitation, relève le prix des meublés, loyers, porte à porte… Ethnologie sociologique complète. L’interview : techniques d’interview pas encore bien différenciées. Pas de réflexion méthodologique élaborée. L’idée d’un rôle spécifique de l’intervieweur, de la nécessité d’une formation n’apparaît pas encore. La distinction méthodologique entre la simple conversation et la passation d’un questionnaire n’est pas encore bien établie. Anderson ne fait pas des interviews mais il a des conversations informelles. Il s’interroge sur la technique qui permettra d’engager la conversation avec un inconnu, remarque que quand on s’assoie à côté de quelqu'un et que l’on pense à voix haute la conversation s’engage bien.


b. Même si l’Ecole de Chicago a ses spécificités, elle subit l’influence quantitativiste, par l’utilisation des statistiques.

Il faut attendre pratiquement la fin des années 1950 pour voir apparaître, à l’instar de la sociologie quantitative qui a très vite produit des réflexions méthodologiques sophistiquées, des débats sur les méthodologies de type qualitatif en usage dans la sociologie. La suprématie de l’Ecole de Chicago prit fin avec la rébellion de 1935 au sein de la Société américaine de Sociologie où il y eu une utilisation grandissante des techniques de recherche quantitative. Ces techniques de quantification étaient déjà présentes à Chicago. James Field y enseignait les statistiques dès 1908 (dans le département d’économie politique et Small encourageait les étudiants à y aller). En 1927, Field meurt et est remplacé par W.Ogburn qui quitte son poste de Columbia. Ogburn était favorable aux histoires de vie mais pour lui elles étaient utiles pour constituer des hypothèses qu’il s’agissait de tester statistiquement. Burgess en 1928 suit son cours. La tendance majoritaire dans la sociologie de Chicago demeurait certes les études qualitatives de terrain et les études de cas mais les statistiques ne faisaient pas seulement l’objet d’un enseignement, elles étaient mises en œuvre dans des enquêtes sur l’abstention aux élections par exemple ou dans les recensements. Emploi par Burgess de statistiques simples. En 1927 il rapproche les statistiques et les études de cas : « Les méthodes des statistiques et de l’étude de cas n’entrent pas en conflit entre elles ; elles sont en fait mutuellement complémentaires. Les comparaisons statistiques et les corrélations peuvent souvent suggérer des pistes pour la recherche faite à l’aide de l’étude de cas, et les matériaux documentaires, en mettant au jour des processus sociaux, mettront inévitablement sur la voie d’indicateurs statistiques plus adéquats. Cependant, si l’on veut que la statistique et l’étude de cas apportent chacune leur pleine contribution en tant qu’outils de recherche sociologique, il faut leur garantir une égale reconnaissance et fournir l’occasion de chacune des 2 méthodes de perfectionner sa technique propre. Par ailleurs, l’interaction des 2 méthodes sera incontestablement féconde ».


Conclusion…

Thomas/Znaniecki (Le Paysan Polonais…) et Samuel Stouffer (The American Soldier, 1949) sont très représentatifs des deux grandes tendances de la socio américaine du premier 20°s. et en marquent une étape différente : l’un inaugure une série de recherches qualitatives et de publications qui constituent le patrimoine de l’Ecole dd Chicago ; l’autre marque la fin de la période précédente et représente le tournant quantitativiste de la socio américaine. Stouffer = tournant dans l’histoire de la socio dans la mesure où elle est la première tentative de modélisation mathématique de la vie sociale. A partir de 1940, la sociologie américaine connaîtra un développement considérable des techniques quantitatives, sous l’impulsion des contrats d’études financés par l’armée américaine. Les chefs de file de l’Université de Columbia (dont Robert Merton et Paul Lazarsfeld, dir. des enquêtes) ont renforcé leur prestige et leur pouvoir, exerçant ainsi progressivement un « impérialisme » théorique et méthodologique. Ainsi l’école fonctionnaliste, fortement implantée à Columbia et Harvard commença à exercer sa domination (voire censure comme y fait allusion H.Becker, 1986). Cette montée en puissance de la socio quantitative coïncida avec l’extinction de la deuxième générations de chercheurs à Chicago : Burgess prend sa retraite en 1951, Wirth meurt en 1952 et Blumer part en 1952 à Berkeley.

[modifier] Liste des sociologues de l'École de Chicago

Liste non exhaustive triée par ordre alphabétique:

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